lundi 5 avril 2010

Souvenirs d'un notable Langrois en 1814

Relation des évènements qui se sont passés à Langres en 1814 et 1815 écrite par M Christophe Delecey de Changey chevalier de Saint Louis et de la Légion d'Honneur qui commandait la garde nationale de cette ville.

        Jean Christophe Delecey naît à Langres paroisse Saint Pierre Saint Paul le 14 janvier 1771 dans le  foyer d'Etienne Bernard Delecey, seigneur de Changey lieutenant des maréchaux de France, et de Françoise Léaulté de Grissey. Les origines de cette vieille famille de marchand langrois remontent au début du XVIème siècle. Ils achetèrent les seigneuries de Récourt et de Changey qui formèrent deux branches qui donnèrent à la cité épiscopale des chanoines, des maires, des présidents et plusieurs militaires*1*. Comme son père, Jean Christophe Delecey embrassa la carrière des armes et fut fait sous lieutenant au régiment de Rohan Soubise en 1786. Emigré en 1791, il passe alors dans la compagnie des officiers du régiment de la couronne à l'armée des Princes puis en 1793 dans la 2ème compagnie des chasseurs nobles de l'armée de Condé. Il participe aux campagnes de 1793 et 1794 avant de devenir sous lieutenant au régiment de Royal Louis en septembre 1794 puis lieutenant en mai suivant. C'est avec ce grade qu'il prendra part à la bataille de Quiberon où il est blessé d'une balle à la jambe, et avec lequel il servira jusqu'à la réforme de son régiment en 1796. Il rentrera en France quelque temps après, mais les évènements du 18 fructidor l'inciteront à s'exiler de nouveau. Jean Christophe Delecey resta en Angleterre jusqu'en 1800, où il gagna quelques subsides en jouant du violon dans des soirées mondaines, avant de revenir s'installer à Langres où il épousa le 22 mai 1805 Marie Etiennette Véron de Farincourt qui lui donna quatre enfants. En février 1839 Jean Christophe Delecey relate quelques évènements de sa vie, particulièrement marquants, dans un cahier resté manuscrit *2*. De celui ci ont été intégralement retranscrits ceux de la période 1814-15 qui complètent, ou contredisent parfois, les travaux de Léonce de Piépape et son "histoire militaire du pays de Langres et du Bassigny", ainsi que de Steenackers pour "l'invasion de 1814 dans la Haute-Marne".

    "Lorsqu'en 1810 j'acceptai les fonctions de commandant de la Garde Nationale de Langres, j'étais loin de prévoir les évènements qui devaient se passer quatre ans plus tard. Ils ont été d'une telle importance que j'ai désiré m'en retracer les circonstances principales: c'est le but que j'ai cherché à atteindre dans cet écrit en m'aidant des notes que j'ai prises dans le temps et que j'ai conservées jusqu'à ce jour.
A la fin de l'année 1813, tous les esprits étaient préoccupés de la position critique ou se trouvait la France, et chaque jour apportait quelques nouvelle qui en augmentait la gravité. Ce fut ainsi que vers le 24 décembre 1813, on apprit à Langres que l'armée alliée avait passé le Rhin à Bâle le 21. Nul obstacle ne semblait devoir arrêter sa marche; on s'attendait à l'avoir bientôt sous nos murs; ce ne fut cependant qu'au commencement de janvier 1814 que l'on sut positivement qu'elle occupait Vesoul. Le général Offenstein*3* qui commandait le département de la Haute-Marne, fit seulement alors quelques dispositions: il nomma M Ignard lieutenant de gendarmerie, commandant provisoire de la place de Langres et donna l'ordre à la garde nationale de faire immédiatement un service de police et de sûreté; avec la compagnie départementale, dont il annonçait le départ  et qu'il devait suivre de près.
Cette dernière troupe ne se composait alors que de 35 hommes, car l'empereur ne considérait plus ces compagnies que comme un dépôt dont il tirait successivement les soldats lorsqu'ils étaient assez instruits. En outre de ce petit détachement il y avait à Hûmes 50 ou 60 douaniers qui s'étaient retirés depuis la frontière et qui reçurent l'ordre de rentrer à Langres. Quant à la garde Nationale de cette ville, elle avait été privée de beaucoup de jeunes gens qui faisaient partie du bataillon mobilisé et avaient été dirigés sur Neu-Brisack *4*; en outre elle avait été forcée de livrer la plus grande part des fusils des quatre compagnies du centre pour armer ce bataillon, tellement qu'elle ne se composait plus en quelque sorte que des compagnies de grenadiers et de chasseurs formant un effectif d'environ 100 hommes. C'est avec ces faibles moyens de défenses que nous voyons approcher la grande armée des alliés.
Le 7 janvier, le service fut organisé ainsi qu'il suit: le capitaine de grenadiers, 1 sergent, 10 hommes et un tambour à l'hôtel de ville 5 hommes à la porte de la rue Boullière et 5 à celle des Moulins. Le soir après l'arrivée de la compagnie départementale, ce dernier poste fut renforcé d'un caporal et 5 soldats. L'officier commandant à l'hôtel de ville avait l'inspection des autres postes et devait les visiter souvent, surtout celui de la porte des moulins.
Le 8 M de Chalancey *5*, capitaine des chasseurs releva à midi le capitaine Aubertin (des grenadiers). Les douaniers étant arrivés peu après fournirent un supplément d'hommes aux deux portes et établir un corps de garde à celle de Sous murs. Rien de nouveau va se passer pendant la journée mais à 11 heures du soir le caporal Beligné*6*  vint du poste de la place m'annoncer que 20 ou 25 chasseurs à cheval du 3ème régiment qui étaient placés au Fays venaient de rentrer à Langres après avoir été chargés par un piquet de cavalerie de l'avant garde des ennemis. Je me transportai sur le champ à la porte des Moulins ou le capitaine de Chalancey s'était déjà rendu avec une partie de son poste. Je pris avec lui et l'adjudant major Luguet*7*  quelques dispositions, celle entre autres de placer plusieurs soldats de la compagnie départementale en sentinelles échelonnées dans le faubourg des Auges, de manière à voir la route du Fays et à pouvoir se replier à temps sur le poste.
Bientôt après, je vis arriver le lieutenant de gendarmerie, le maire et le sous préfet. Ce dernier nous apprit qu'il venait d'être réveillé par le nouveau préfet de Vesoul (M de Flavigny) il allait remplacer M Hilaire que Napoléon avait trouvé un peu trop prompt à quitter son département, mais le pays étant envahi, M Berthier avait conseillé au nouveau préfet de se rendre à Gray ou à Champlitte seules localités de la Haute-Saône ou il peut encore pénétrer.
La nuit était très calme, il faisait un beau clair de lune qui permettait de voir au loin et vers les 2 h 1/2 rien ne se faisant entendre ni apercevoir,  je rentrai en ville et me rendis au poste de la place pour savoir ce qui était resté d'hommes; puis j'allai visiter la porte de Soumurs. Ce point pouvait laisser quelque inquiétude, car il y avait de petites brèches dans les remparts qui l'avoisinaient; mais je m'assurai qu'elles n'étaient pas praticables pour la cavalerie et vis aussi que le service se faisait avec beaucoup d'exactitude. Plusieurs douaniers qui étaient dans  le cabaret voisin ne comptaient pas se coucher et se tenaient prêts à renforcer le poste au premier signal, quelques habitants du faubourg étaient aussi sur pied et faisaient le guet, de sorte qu'il n'y avait point de surprise à craindre de ce côté. Je jugeai que la reconnaissance ennemie qui était entrée le soir au Fays et qui probablement ne se présenterait que de jour, ne pouvait pas beaucoup inquiéter une ville fermée, et je revins chez moi vers les 4 heures après m'être encore arrêté quelques instants au grand créneau près du séminaire d'où l'on découvre la route du Fays, sur laquelle on ne voyait aucun mouvement.
Deux heures après, le 9 à 6 heures M Ignard vint me dire que l'ennemi s'était présenté, et il fallait réunir tous les hommes armés de la garde nationale, mais point à son de caisse afin de ne pas effrayer les nombreux malades qui remplissaient la ville. Les débris de l'armée française revenant d'Allemagne avaient en effet répandu le typhus à Langres et il y faisait beaucoup de victimes.
Je courus sur le champ chez le lieutenant de grenadiers Faure dont je connaissais l'activité pour lui dire d'avertir sa compagnie. Je parlai encore à quelques autres officiers en me rendant à la porte des Moulins et là j'appris en détail ce qui venait de se passer. Un peu avant le jour 15 ou 20 cavaliers avaient fait replier les sentinelles qui étaient dans le faubourg et étaient venus se présenter à la porte qu'ils trouvèrent fermée. L'officier de garde, aussitôt qu'elle avait été ouverte avait placé ses troupes le long du mur extérieur du cour Rivot, voulant seulement faire voir que la ville était sur la défensive, sans commencer des hostilités qui pouvaient avoir des suites très sérieuses; mais le sergent major de grenadiers Arbeltier qui avait passé la nuit au poste, lâcha son coup de fusil à travers les fentes de la porte et entraîna ainsi les hommes qui bordaient le parapet. Le piquet de cavalerie s'éloigna sur le champ, mais revint bientôt après: Alors la partie étant engagée, M de Chalancey fit faire une décharge sur la troupe ennemie qui disparut tout à fait*8* . Vers 8 heures M Ignard me donna l'ordre de faire battre le rappel mais si peu d'hommes y répondirent que sur les 11 heures il fit battre la générale qui n'eut pas beaucoup plus d'effet, cependant quelques hommes commencèrent à s'assembler devant l'hôtel de ville ou je me trouvais, lorsqu'on nous annonça que l'ennemi se montrait de nouveau dans le faubourg des Auges. Je fis partir sur le champ les hommes qui venaient d'arriver ainsi que tous ceux qui n'étaient pas indispensables au corps de garde et après avoir donné quelques ordres à ceux qui restaient,  je suivis les premiers et les rejoignit à la porte des Moulins. On sut là qu'un ou deux coups de fusil tirés par le grenadier Magister qui était dans le faubourg avait suffi pour les faire reculer encore une fois. Il fut alors question d'aller en reconnaissance sur la route du Fays. L'adjudant major m'engageait à rester à la porte avec le seul capitaine du centre qui fut présent, pour y organiser une réserve. Je ne fus point tenté de suivre son avis; je lui répondis que jusqu'alors n'ayant été à la tête de la garde nationale que dans des cérémonies publiques, je ne voulais pas rester en arrière lorsqu'elle pouvait courir la chance de quelques dangers. J'accompagnai donc cette troupe d'une cinquantaine d'hommes environ, et nous partîmes sur la route au delà de la dernière maison des Auges. Nous rencontrâmes entre les deux portes un officier d'Etat major arrivé depuis deux jours pour examiner le point où l'on pouvait établir un camp retranché. Il me dit en passant: « bravo!!! M de la Garde Nationale. Bravo! Mais souvenez vous qu'un coup de fusil tiré est autant que mille et que maintenant il faut le soutenir ». Je fus un peu piqué d'entendre  quelqu'un qui s'éloignait essayer de nous faire croire que nous étions complètement compromis et je lui répondis «  Monsieur il n’est pas étonnant que la garde nationale ait fait son devoir, mais ce qui me surprend c’est que les chasseurs qui sont ici depuis plus de 12 heures ne soient pas encore remontés à cheval pour savoir ou est l’ennemi ». Je ne suis pas très sur que M Luguet adjudant major nous ait suivis aux Auges : M Battonon capitaine resta à la porte pour réunir les armements. Il n’y avait qu’un seul officier du centre M Véron *9* ; le capitaine des chasseurs Chalancey descendait la garde ; Jondat son lieutenant était à Chaumont, peut être M Walter*10* sous lieutenant de chasseur était il présent, mais je crois que M Aubert sous lieutenant de grenadiers ne l’était pas ; donc probablement il n’y avait réellement de présent en officier que MM Aubertin, Faure, Walter , Véron et moi ; aussi en partant de l’hôtel de ville, j’avais dit à MM Henri Gatry et Le Prieur qui se trouvaient là : vous êtes fort heureux de pouvoir faire les bourgeois, tandis que moi je pars avec des hommes qui feront peut être quelque folie que je ne pourrai empêcher. Je n’attendais pas un grand effet de ce que je leur disais là ; aussi fus je bien surpris, lorsque descendant le faubourg, je vis arriver ces deux messieurs, armés de leurs fusils de chasse, je leur demandai ce qui les avait déterminés à venir et ils me dirent qu’ils avaient éprouvé du regret en me voyant partir presque seul. Je les remerciai de leur intérêt et j'ajoutai « Retournez à la ville messieurs, si vous étiez 50 je ne refuserais pas l'appui des hommes influents qui viendraient se réunir à moi, mais vous n'êtes que deux, vous ne pourrez rien et vous n'êtes pas obligés comme moi d'être ici ». Ils me répondirent que puisqu'ils étaient venus ils voulaient rester avec moi, ce qu'ils firent. Ce fut peu de moments après que nous vîmes descendre les Auges, une calèche dans laquelle était une jeune femme et plusieurs enfants dont l'un de moins de deux ans était étendu sur ses genoux et paraissait malade. Cette dame allait du côté de Béfort *11* pour rejoindre je crois son mari, nous fumes obligés de lui refuser le passage, on ne pouvait lui permettre de traverser ainsi, un avant poste, pour se rendre dans un pays occupé par l'ennemi; elle eut bien de la peine à se rendre à nos raisons quoiqu'on lui fit observer qu'elle même pouvait courir des dangers, dont le moindre était peut être qu'on lui prit ses chevaux et ses effets; enfin d'après nos avis elle se décida à retourner du côté de Dijon.
Il faisait alors un brouillard qui ne permettait de voir qu'à quelques centaines de pas. Le médecin Faure qui nous avait suivi avec son fusil de chasse en sortant du faubourg et avant qu'aucun homme à cheval fut arrivé, se détacha et en marchant le long des arbres, s'avança assez loin pour découvrir le pont où la route descend et se perd de vue. Nous nous étonnons de ne voir faire aucun service aux chasseurs qui avaient quitté le Fays la veille et qui pouvaient si utilement éclairer le pays. Cependant au bout de quelque temps ils arrivèrent ayant été précédés par la gendarmerie, et les uns et les autres se portèrent en avant. Il y avait déjà plus de 3 heures que nous étions sur pied et nos reconnaissances n'étaient point rentrées; le brouillard s'était dissipé et l'on voyait jusqu'à la côte de Marne; je me décidait alors à aller manger un morceau, et à rendre compte à la mairie de notre position. Vers les 4 heures je retournai au faubourg lorsque je rencontrai sur la place M Ignard qui me dit: « la garde nationale s'est repliée sous les murs de la ville, les douaniers et la compagnie départementale y sont aussi. Ce point est gardé par presque tout ce qu'il y a de forces dans la ville. Il est donc inutile que vous y alliez; quelques hommes isolés s'y rendent encore, je vous engage à les faire rétrograder et à les réunir au corps de garde de la place afin de former une réserve qui puisse se porter sur les points où cela sera jugé nécessaire ». Il me quitta ensuite, mais je continuai ma marche sur la porte des moulins pour connaître par moi-même l'état des choses, et jugeant bien d'ailleurs que ce ne serait qu'en revenant que je pourrais rencontrer les hommes de bonne volonté qui s'y portaient. Je trouve les hommes de la garde nationale faisant face à l'entrée du faubourg, la garde départementale était à droite adossée au café de Bel Air et les douaniers à gauche sous le cours Rivot; quelques chasseurs qui étaient à pied observaient la route de Dijon.
La journée ne s'était pas passée sans qu'on but le verre d'eau de vie; les têtes étaient montées; à peine fus-je arrivé qu'un ex officier des chasseurs nommé Boucheron qui alors se disputait avec le capitaine de grenadiers Aubertin dit: « voici le commandant; eh bien s'il veut me donner 20 hommes, je chasserai ces brigands là qui sont revenus dans le faubourg ». Je sentis qu'il fallait mesurer ma réponse et lui dit: « Monsieur, vous ne faites pars partie de la garde nationale, si elle doit marcher, elle a ses officiers sous les ordres desquels elle sera toujours prête à faire ce qui sera nécessaire ». Aussitôt le lieutenant Faure dit: « eh bien je pars moi, voyons qui me suivra » et faisant commandement par le flanc droit, il emmena avec lui les 10 ou 12 premiers hommes, parmi lesquels était son frère le médecin Faure, Lhuillier dit Saint-Jean, Noblet teinturier, Albertier, Mesureux, Mauclerc cordonnier etc. M Faure Pelletier m'a dit que doux ou trois hommes de son petit peloton l'abandonnèrent avant d'être au bas des Auges. Peu après que nous les eussions perdu de vue, on répandit le bruit qu'on apercevait des ennemis se glissant du côté des Franchises et qu'on entendait le son d'un trompette dans le faubourg. Ma position devenait de plus en plus délicate, je voyais clairement que je ne ferais pas obéir et que ma présence ne faisait que compromettre mon autorité. Je pris donc le parti d'exécuter ce dont  M Ignard m'avait chargé, et de retour dans la ville je rencontrai plusieurs hommes armés, que je ramenai au corps de garde de la place. Je n'y restai qu'un moment et je me transportai à la porte de sous-murs; tout y était en ordre, on commençait de la barricader avec des chariots, je présidait un moment à cette besogne, puis je remontai en ville; j'arrivai sur la place Chambeau lorsqu'un officier des chasseurs de la garde impériale, le chef d'escadron Lafitte auquel on m'avait montré, vint à moi et me demanda avec empressement ce qui se passait. Je lui dis que j'avais laissé peu auparavant presque tout ce qu'il y avait de forces à la porte de Dijon, et que celle d'où je sortais immédiatement paraissait menacée, j'y étais allé, et que je la croyais en sûreté pour le moment; mais me dit il c'est du parlementaire qui est dans la ville dont je parle. Je fus très surpris et je le lui témoignai en disant qu'il n'avait été introduit que depuis mon départ.
Aussitôt il marcha vers la porte des Moulins en élevant la voix pour dire que si seulement son escadron, qui le suivait, était arrivé, il aurait bientôt jeté tous ces brigands là dans la Saône. Je ne me fiai pas à cette petite jactance, mais je pensais que ces officiers auraient du moins assez d'influence pour rétablir un peu d'ordre et qu'il prendrait les mesures que les circonstances lui suggéraient. De sorte que je me rendis à l'hôtel de ville, ou je trouvai le parlementaire qui était je crois un officier Bavarois; le maire et le commandant Ignard étaient présents; ce dernier avait répondu à la sommation de rendre la place, par une demande de 24 heures pour recevoir les ordres du commandant du département. Le maire cherchant aussi à gagner du temps en faisant boire et manger le parlementaire, qui était encore occupé de son repas, lorsqu'il vint un ordre du commandant Lafitte pour le conduire à l'hôtel de la Poste, il y fut détenu comme les trois hussards de Srakléo qui l'avaient accompagné. Cette arrestation, un peu contre le droit des gens donnait sur ses suites quelques inquiétudes. Elles ne furent pas calmées lorsqu'on apprit dans le moment même que M Faure lieutenant de grenadiers avait tiré sur l'escorte du parlementaire et blessé sérieusement l'officier qui la commandait, et qu'on l'avait transporté je crois chez les demoiselles de Sillières.
Ce qui était plus rassurant, c'est que dans ce moment arrivaient un escadron de chasseurs à cheval de la garde impériale et une pièce d'artillerie légère. La ville paraissait donc à l'abri d'un coup de main, et d'ailleurs la troupe ennemie s'éloigna cette fois tout à fait. Le général Offenstein commandant le département, n'arriva qu'après tous ces évènements.
Dans la nuit, je fus appelé au poste de la place, sur le bruit qui courait que l'ennemi tournait Langres et était entré à Champigny. Il n'en était rien, et je l'aperçus bientôt, mais je rentrai quelque temps au corps de garde, et je me fis raconter par M Faure ce qui s'était fait passer la veille; il me dit qu'ayant entendu de loin l'officier qu'il ne reconnut point pour un parlementaire, il avait pris une rue détournée sur sa droite, et qu'arrivé à l'extrémité des Auges par les jardins, il avait aperçu un détachement de cavalerie dont le commandant faisait donner l'avoine à son cheval, qu'ayant été vu lui même et ayant essuyé un coup de carabine, il avait riposté, qu'un officier était resté sur la place, et qu'un autre en s'enfuyant avait reçu son second coup de fusil dans le dos. Je suis loin de garantir l'exactitude de ce récit, car on pourrait à bon droit s'étonner que des hommes qui escortent un parlementaire fussent agresseurs; je rapporte seulement ce qui m'a été dit alors.
Le 10 il arriva dans la matinée une batterie d'artillerie légère et une partie de la cavalerie de la garde impériale. Les chasseurs furent cantonnés à Saint Geosmes, et les grenadiers à cheval à Champigny. L'ennemi ne se montra point dans la journée, mais pourtant on apercevait sur la route du Fays plusieurs chariots de foin de réquisition que les paysans avaient abandonnés en emmenant leurs chevaux, ce qui nous fit penser que les étrangers n'étaient pas loin. Il était triste d'avoir ce spectacle sous les yeux, sans que les militaires qui avaient parlé de jeter les cosaques dans la Saône fissent un pas pour sauver leurs approvisionnements ainsi abandonnés. Le soir on condamna les portes de la ville autres que celles des Moulins et de la rue Boullière.
Le 11 on apprend que Gray et Champlitte sont occupés. Il arriva un bataillon de chasseurs à pied de la garde impériale qui releva tous les postes.
Le 12 arrivée vers les 2 heures après midi du maréchal Mortier *12* duc de Trévise, il reçoit la visite des officiers de la garde nationale chez monsieur de Lizecourt où il est logé*13* . Comme l'ennemi s'est renforcé on envoye en reconnaissance le bataillon de chasseurs  avec de la cavalerie. Vers 4 heures arrivent les 3 autres bataillons de chasseurs et les 4 de grenadiers de la vieille garde. Cette troupe d'élite ne se composait que de 4 ou 5 mille hommes, il arriva en outre 20 ou 25 pièces d'artillerie qui sont parquées au champ de Navarre. Dans la nuit un 2ème bataillon de chasseurs se porte en avant. Suivant ce qui m'a été dit depuis, ce serait un certain nombre d'hommes de pris dans chaque compagnie qui auraient fait cette expédition; elle fut dirigée sur Chatenay, dont le maire avait fait savoir que le village était occupé par une avant garde qui se gardait très mal. Aussi les hommes qui la composaient furent ils surpris et presque tous égorgés.
Le 13 on ramène des blessés français et quelques prisonniers faits la veille au soir, on avait rencontré l'ennemi en avant de Longeau et on l'avait repoussé au delà, il y avait eu le même jour ou le matin du 13, une affaire assez vive à Percey dont l'ennemi a continué à occuper le bois. M de Gerûte capitaine des dragons est du nombre des blessés.
L'adjudant commandant Simon de la Mortière est envoyé de Versailles ou il avait l'entrepôt de tabac pour prendre le commandement d'armes de la place de Langres. Il me fait demander 3 hommes de planton et un officier pour faire provisoirement le service d'adjudant de place; je désigne M Roudot lieutenant de chasseurs. On commence à découvrir le toit du rempart du côté de la porte des Moulins; nous fournissons une garde pour veiller sur les démolitions.
Le 14, vers les 2 heures me trouvant à un poste établi sur le rempart près du cours Rivot, je remarquai qu'il y avait des mouvements de la cavalerie ennemie dans la plaine qui est entre Balesmes et la ferme du Dreuil, peu après plusieurs pièces d'artillerie prirent position sur ce dernier point, et commencèrent à tirer; leur feu paraissait dirigé sur les chasseurs à cheval qui cherchaient à tourner leur position en longeant les coteaux de Saint Maurice ou de Saint Vallier, cessa après 20 ou 30 coups tirés. Mais déjà les 8 bataillons de la vieille garde étaient en colonne serrée, occupant la principale rue depuis Saint Mammès jusqu'à la porte des Moulins, et j'eus l'occasion d'admirer la promptitude et l'air martial de cette belle troupe qui sans doute se serait fait jour partout comme à Hannau le 15. le commandant de place me requit de lui envoyer de suite et sous ma responsabilité 50 hommes les plus propres aux manœuvres du canon et la moitié d'entre eux munis d'une pioche et d'une pelle. Je commençais à dresser une liste qu'il m'eut été à peu près impossible à remplir, lorsque le commandant me fit savoir  qu'il suffisait des 50 premiers à marcher. Il venait d'arriver d'Auxonne une dizaine de pièces de canon et il m'apprit qu'il s'agissait de les décharger et de les mettre en sûreté. Peu après nouvel ordre de M Simon qui me demande un état sommaire de la garde nationale que je lui envoie.
Le bruit courut dans la journée que l'ennemi avait évacué Chassigny, mais on reçut aussi une nouvelle inquiétante d'une toute autre importance, c'est que le maréchal Victor n'avait pas pu défendre la ligne des Vosges et qu'on s'attendait à tout moment à voir entrer les étrangers à Nancy. On sut aussi qu'une colonne de Wurtembergeois se dirigeait sur Bourbonne, en effet l'avant garde arriva ce soir la même à Dammartin. C'est probablement même ce jour là que M Faure reçut du maréchal Mortier la croix de la Légion d'Honneur.
Le 16 on publia le matin avec grand appareil la paix de la France avec l'Espagne. Vers midi l'officier qui logeait chez moi m'annonce que la garde impériale partait le lendemain. Cette nouvelle me fut confirmée par le commandant de place qui me la donna sous le secret, un peu plus tard en me disant que le maréchal voulait me parler vers les 5 heures; je dis à M Simon que j'étais déjà instruit du départ des troupes et lui demandai si on lui laissait des forces considérables; il me répondit qu'il n'aurait que 60 hommes et les 15 conscrits qui avaient escorté l'artillerie d'Auxonne, mais qu'il comptait ceux ci pour rien. Je vis bien que la résistance plus ou moins longue de la ville allait dépendre de l'attitude que prendrait la population. Je dis à M de la Mortière que je ne parlerais point de l'évacuation de la place; et il ne me demanda de la taire seulement jusqu'à ce que j'eusse vu le maréchal, ajoutant qu'au surplus cela ne tarderait pas à devenir public.
Le soir j'allai chez le duc de Trévise, où se trouvait déjà le receveur particulier auquel il donnait l'ordre de partir en même temps que l'armée; et après m'avoir demandé où j'avais servi, il m'annonça le départ de l'armée en me disant qu'il se fiait assez à l'honneur d'un ancien officier pour être persuadé que je seconderais le commandant d'armes; je répondis que du moment que j'avais accepté les fonctions de chef de la garde nationale je m'étais promis d'en remplir exactement les devoirs. Cependant ajoutais-je, je crois devoir parler avec franchise à M le Maréchal et lui dire que quelque confiance que j'aie dans la bonne volonté de mes concitoyens, je ne m'attendais pas à ce qu'ils en témoignassent autant au départ de la garde impériale que lorsque son arrivée était si prochaine. Le duc me répondit qu'il sentait bien cela, mais que l'éloignement des troupes ne serait que momentané, qu'elles faisaient un mouvement qui durerait peu et que sous deux jours elles seraient de retour à Langres. On peut croire, que je me dispensai de témoigner mon incrédulité au maréchal, je me bornai à lui rappeler les preuves du dévouement qu'avait donné la garde nationale et à dire que j'y connaissais des hommes qui ne manqueraient pas de  zèle au surplus, ajoutais je encore, dans tous les cas je ferai mon devoir, peu après je fus congédié.
Le 17 un peu avant le jour le commandant Simon m'écrivit de me rendre chez lui et là il me donna l'ordre de faire battre  la générale, afin dit il qu'il put connaître au juste les forces sur lesquelles il pouvait compter; du reste il convenait qu'il était impossible de résister longtemps à une forte colonne, mais il prétendait pouvoir obtenir une capitulation honorable et faisant montre de tous ses moyens. Je le quittai et fut de suite chercher le tambour-major, qui me parut un peu effrayé de l'ordre que je lui transmis. Dans ce moment les derniers soldats de la garde impériale buvaient encore le verre d'eau de vie dans les boutiques d'épiciers, et déjà on pouvait s'apercevoir de l'inquiétude que causait leur départ.
Prévoyant bien que je n'aurais guère de loisir pendant cette journée je me hâtai d'aller déjeuner par précaution, puis je retournai chez le commandant qui venait de m'écrire que j'avais été nommé membre du conseil de défense de la place. (ce conseil ne s'est point assemblé) comme je m'approchais de chez lui, je rencontrai le tambour-major l'air confus qui venait de l'avertir que le peuple effrayé d'une démonstration qui semblait devoir attirer de grands malheurs sur la ville avait entouré les tambours et menacé de crever leurs caisses s'ils continuaient à en faire usage.
Je trouvai M Simon dans un état d'exaspération difficile à décrire; il venait d'apprendre que les artilleurs de la campagne, réunis à Langres pour confectionner des cartouches, étaient retournés chez eux. Il s'écriait que tout l'abandonnait à la fois; il se plaignait surtout avec véhémence du départ du sieur Faure, sans réfléchir que celui ci s'était compromis de manière à pouvoir difficilement rester; lorsqu'il fut en état de m'écouter je lui dis : « vous avez entendu ce que j'ai dit hier au maréchal; j'étais loin cependant de prévoir un découragement aussi général, mais il est des circonstances critiques ou l'on ne peut répondre que de soi; je ne vous serai que d'un faible secours, mais du moins je ne vous quitterai pas ». Il se décida aussitôt à faire porter un courrier pour faire connaître sa position au maréchal Mortier; il espérait sans doute en obtenir la permission d'évacuer la ville, mais vers les 10 heures il reçut l'ordre de tenir jusqu'à la dernière extrémité. Je lui entendis dire: « je vois bien que je suis sacrifié ». Il l'était dès la veille.
Peu après nous aillâmes ensemble visiter tous les postes. Il avait placé la plus grande partie des hommes à la porte des Moulins et au cours Rivot. C'était un triste spectacle que celui de la vue du faubourg de Bel-air et de la route de Dijon auparavant si fréquentée, on n'apercevait pas une âme; et à coté de cela, l'attitude calme mais sérieuse du petit nombre de grenadiers qui ne suffisait pas pour garnir le parapet de la promenade.
Vers une heure, M Faure qui était parti avec les troupes, revint porteur d'une lettre du maréchal au maire; il lui enjoignait d'appeler aux armes tous les citoyens par une proclamation, en annonçant qu'il serait de retour à Langres dans deux jours.  Le sieur Faure voulait se rendre garant de cette promesse, mais il ne persuadait personne. On voyait trop bien l'intérêt qu'avait l'armée à ce que l'ennemi s'arrêtât devant langres, afin de gagner une ou deux marches, et, nul ne voulait obtenir ce résultat en faisant prendre la ville d'assaut; aussi la proclamation du maire ne produisit elle aucun effet. Ce n'était plus comme au moment de l'arrivée de la garde impériale où l'on sentait que l'intérêt et le devoir se réunissaient pour qu'on ne laissât pas occuper la ville par un faible détachement qui pouvait en être chassé le lendemain. La reddition de la place paraissait inévitable; trente mille hommes étaient à ses portes et une colonne approchait dans ce moment de Chaumont; et d'ailleurs quelles forces pouvait-on opposer?
Une garde nationale en partie désarmée, et quelques canons venus d'Auxonne la plupart sans boulets de calibre. On a su depuis que des officiers de la garde impériale avaient dit qu'ils mettraient Langres au pillage s'ils y revenaient; cruelle, mais vaine menace! Ils savaient bien qu'ils n'y rentreraient plus.
Je reviens aux évènements: quelques cavaliers qui s'étaient approchés de la ville vinrent jusqu'auprès du cours Rivot, mais les soldats, soit qu'ils en eussent reçu l'ordre, soit qu'ils dédaignassent un ennemi trop faible pour leur causer de la crainte ne tirèrent point sur eux; peu après vers les 3 heures, un parlementaire se présenta; il portait une lettre de M de Metternich adressée au ministre des affaires étrangères. On ouvrit le guichet pour les recevoir, et pendant ce temps j'observai que les hommes de l'escorte auxquels des gens du faubourg avaient apporté quelques bouteilles avaient l'air de boire à la santé de nos soldats français qui les regardaient, et de vouloir fraterniser avec eux. Il y avait dans ce moment comme une espèce de trêve qui semblait rassurer les esprits, aussi la promenade était elle remplie de curieux, et même de dames auxquels il est vrai, on ne permettait pas de s'approcher du parapet; le colonel Simon était allé déjeuner, je pensai que j'en pouvais faire autant. Je n'avais pas encore fini mon court repas que j'entendis de suite deux coups de canon; je jugeai sur le champ à la faiblesse du son qu'ils ne provenait pas de la ville, ou d'ailleurs il n'y avait en batterie qu'une seule pièce au cours Rivot. Je me hâtai donc d'accourir à la porte et déjà un parlementaire qui venait sommer la place de se rendre y était entré. Sa mission avait été appuyée par quelques coups de canon tirés sur la ville depuis la route au-delà des Auges.
Le commandant Simon avait d'abord répondu qu'il ne rendrait la place qu'à des forces supérieures; cependant il était dans ce moment dans l'auberge du sieur Allardot où il cherchait à faire ses conditions. J'y entrais et j'attendais dans la cuisine qui donne sur la rue le résultat de la conférence, quand les personnes qui entouraient la maison nous dirent que si le commandant ne se hâtait de conclure on allait enfoncer les portes de la ville.
En effet, le général Giulay *14* à la tête d'un escadron de chevaux légers et d'un bataillon du régiment de Klenan s'était porté avec ses deux pièces de canon entre la porte et la barrière de Blanche-Fontaine*15*  et menaçait de faire tirer. Je ne sais pas si cela détermina le colonel ou si les arrangements étaient déjà pris, mais il sortit peu après,  je le suivis jusqu'au dehors de la ville, me tenant cependant par discrétion assez éloigné pour ne pas entendre ce que lui disait M de Giulay. Cela fut très court, au bout de deux minutes on ouvrit les grandes portes et je fus témoin de ce qui ne s'était pas vu depuis des siècles, l'entrée d'une troupe étrangère et ennemie dans la ville. Je marchai assez longtemps à côté de la colonne jusqu'à ce que réfléchissant que ma tenue en uniforme pouvait m'attirer quelques désagrément je profitai d'un moment d'arrêt pour doubler le pas et laisser les troupes se diriger vers l'hôtel de ville. Rentré chez moi, je pus faire de sérieuses réflexions, tout en m'applaudissant que mon rôle de commandant de la garde nationale fut fini.
M Simon m'a écrit l'année suivante qu'on lui avait dit qu'il n'avait pas pu capituler et que cependant il avait la capitulation vers lui. Cela s'accorde peu avec ce que j'ai ouï dire au maire de Langres. Suivant M Guyot*16*  qui s'était avancé jusqu'auprès de M de Giulay, il n'y aurait eu qu'une capitulation verbale dans les termes suivants:
« - je demande la libre sortie de ma troupe
- elle restera prisonnière de guerre
- je désire qu'on n'inquiète pas les citoyens
- c'est mon intention
- je recommande les blessés
- ils seront traités comme les nôtres »
Peut être le colonel avait il réellement écrit des articles de capitulation qui auraient été signés dans l'auberge, mais il paraît que l'ultimatum fut dicté par M de Giulay tel que je le dis.
Pendant le court espace de temps que M Simon resta à Langres, il ne cessa de multiplier les réquisitions faites à la garde nationale, j'étais en course à cette occasion quand j'entendis la canonnade du Dreuil, cette fois comme toujours l'ordre qui m'était donné et que j'ai oublié était dans des termes impératifs.
Le 17 lorsque nous parcourûmes ensemble les remparts et qu'il me parlait du sort qui paraissait l'attendre, je lui dis que si au dernier moment et quand les étrangers entreraient dans la ville, il voulait leur échapper, il n'avait qu'à sortir du côté du couchant traverser la route et que dès lors il serait hors de leurs atteintes, puisqu'en se dirigeant sur le faubourg de Brevoines il pouvait gagner la route d'Arc. Ah! Me dit-il, ils y sont peut être déjà. M Ignard prit ce parti; il m'a conté qu'il était descendu par un créneau, près du champ de Navarre à l'aide d'une corde et qu'il avait gagné la montagne; M Simon fut envoyé à Stockach en Souabe ou il s'est retrouvé avec les otages langrois. Je dirai à propos de ceux ci que ce fut M Barthélémy que je rencontrai qui m'apprit que les autrichiens voulaient avoir trois otages, et comme il ne put m'en nommer que deux, je lui demandai si je n'étais pas le troisième; non, me dit-il, car je sais qu'ils sont déjà tous chez le commandant de la ville M le comte de Trogoff. C'étaient MM Viney-Japiot, Poinson avocat, et Bonnet commissaire aux revues.
Les artilleurs qui devaient confectionner des cartouches étaient dirigés par le sieur Boucheron, que je trouvai chez le commandant, auquel il annonçait la défection de tout son monde. Heureusement je fus exempté d'une pareille corvée par le récit du tambour-major quand il vint annoncer qu'on lui empêchait de battre la générale, car M Simon était monté à un tel point qu'il disait: quant à ce grand JF qui a reçu la croix et qui s'en va (M Faure) quelque part que je le retrouve, je la lui arracherai de la poitrine. Je doute pourtant qu'il l'eut fait s'il eut vu M Faure quand il revint dans la journée. Je crois que c'est lui qui emporta la lettre adressée au ministre des affaires étrangères apportée par un parlementaire. Je lui ai ouï dire depuis qu'en s'en retournant il vit des vedettes ennemies sur la rive droite de la Marne, il y eut en effet une petite canonnade près de Chaumont et une charge de cavalerie sur les hauteurs à l'est de la ville mais la garde y resta encore le lendemain.
C'est un nommé Bizel maître de danse que le colonel Simon dépêcha au maréchal Mortier, mais ce fut un aide de camp qui lui rapporta l'ordre de rester et de se défendre. M Simon m'a dit avoir commandé pendant la guerre les grenadiers au régiment Rohan Soubise; j'ai oublié de lui demander dans quelle occasion. Le maréchal me dit aussi qu'il avait connu un officier de ce corps, le peue Zevallos; cette épithète triviale me le prouva, en effet celui ci était très laid, il habitait le Cateau-Cambrésis et le duc de Trévise était fils du maître de poste de la même ville. Le maréchal avait près de 6 pieds.
Pendant que M Simon parlementait avec le général Giulay, dont je me tenais un peu en arrière par discrétion je remarquai un mouvement parmi les troupes qui me fit percevoir le sort de la garnison de langres. Un certain nombre de cavaliers se détachèrent et partirent au galop du côté de la tour de Navarre; il me parut évidemment que l'on voulait être maître de toutes les autres portes pour empêcher toute sortie.
Dans la soirée du 17 il entra successivement à Langres 15 ou 20 bataillons qui se logèrent comme ils purent, au grand détriment de la population. Jusque vers 10 heures la maison que j'habitais en fut exempte, mais alors il nous arriva un ordre de logement pour un général, son aide de camp, onze soldats ou domestiques et un charretier du Fays. Le général ni l'officier ne parurent pas, on nous dit que probablement ils s'étaient portés de suite sur la route de Chaumont.
Le 18 les troupes étrangères continuèrent à traverser Langres et le 19 le prince de Schwartemberg y établit son quartier général chez M Berthot sous préfet. On apprit le matin l'occupation de Chaumont.
Le 22 l'empereur de Russie fit son entrée à Langres, vers les 2 heures 1/2  il était accompagné d'un nombreux état major et des généraux de la place qui étaient allés au devant de lui. Le brillant cortège aurait offert un fort beau spectacle sans la vue de quelques cosaques irréguliers qui parcouraient les rues dans leur grossier costume et sans le sentiment de la charge que la ville souffrait et qui allait encore s'augmenter. L'empereur Alexandre logea chez M de Chalancey*17*.
Le 24 arrivée du roi de Prusse et de ses deux fils qui logèrent chez madame Royer à Champeau *18*.
Le 25 arrivée de l'Empereur d'Autriche logé chez M Guyot de Saint Michel maire*19* .
Le 29. Départ du roi de Prusse, suivi de celui de l'Empereur Alexandre. Tous les environs de Langres ont été occupés par les corps russes du général Barclay de Tolly*20* , il y a des troupes jusque dans les villages de la montagne. Les chevalliers-gardes sont à Vivey: un bataillon de grenadiers part de Changey ce même jour 29. On apprend les affaires qui ont eu lieu auprès de Bar sur Aube, de Brienne et de la Rothière; je vois arriver à l'hôtel de ville des prisonniers français de cette dernière action, entre autres M Emmanuel de Cossé Brissac *21*.
L'Hetman des cosaques Platow *22* fut avec sa troupe jusqu'auprès d'Orléans. Un comédien de cette ville fut tué dans une escarmouche qui eut lieu dans les faubourgs. On donna une représentation au profit de sa famille (ou bien fut il seulement blessé et la représentation eut elle lieu à son bénéfice). Mme Platow est accouchée à Langres chez M Berthon le receveur *23*.
J'ai logé pendant quelques jours M de Conskrin intendant général de l'armée russe et qui depuis a été ministre des finances en Russie. C'était un homme très simple dans ses manières quoique avec de l'esprit; je n'ai eu qu'à m'en louer, et il avait demandé à revenir chez moi lorsqu'à la fin de février les alliés se retirèrent sur Langres, cela n'eut pas lieu parce que mon logement était alors désigné pour le grand maréchal Fostay dans le cas ou l'empereur de Russie rétrograderait jusqu'à Langres. M de Canskrin était allemand, il avait suivi des cours à Marbourg avec M Charles de Montarby*24* .
Le 3 février l'empereur d'Autriche a quitté Langres, le passage des troupes continue ainsi que dans les environs. Depuis le départ des Français les journaux n'arrivent plus; on ne sait de nouvelles que celles que débitent les alliés. Ainsi on apprend le 8 leur entrée à Troyes puis à Nogent, et la prise de Sens.
Le 20 février je logeais le comte de Zudoff capitaine au régiment autrichien de Wurtbourg. Il revenait de Fontainebleau et me dit que les cosaques de Platow étaient allés presque jusque dans les faubourgs d'Orléans. Il était chargé d'une mission en arrière et comptait repasser bientôt pour revenir à l'armée. C'était un homme d'excellentes manières, parlant français sans le moindre accent; il est vrai qu'il l'avait su dit-il avant l'allemand, étant né à Constantinople ou son père était internonce. Il n'avait promis de logez chez moi à son retour, je ne l'ai point revu. Ce fut lui qui me dit qu'entre Sens et Troyes, il avait entendu une forte canonnade sur sa gauche et vu les parcs d'artillerie faire un mouvement rétrograde ce qui lui avait fait supposer que l'armée allait en faire autant. Ayant entendu dire par M de Chalencey que M le comte d'Artois était à Vesoul, il répondit avec l'air étonné: « qui est ce qui le lui a permis? ». On voit et je m'en suis convaincu plus d'une fois depuis, que l'opinion des autrichiens était tout à fait opposée au retour des Bourbons. En général les souverains étrangers ne croyaient pas qu'on les désirât. Et l'empereur Alexandre causant à ce sujet avec son hôte M de Chalencey lui disait qu'il n'y avait guerres que les nobles et les émigrés qui voulussent une restauration; il y avait dans ce moment un menuisier nommé Vincent occupé à quelque ouvrage dans l'appartement de l'Empereur; il lui dit aussitôt: « Sire je ne suis qu'un pauvre ouvrier, mais je donnerais volontiers un de mes bras pour voir revenir notre roi ». Madame la duchesse de Berry a fait à cet homme dévoué une pension de 200 francs. L'empereur de Russie à la demande de M de Chalencey, et sur la pétition de la dame Faure, a fait don à celle ci d'une cinquantaine de ducats pour l'indemniser des dégâts commis dans sa maison par les autrichiens qui commençaient à la démolir, ce qu'il empêcha.
Le 20 on savait que M le comte d'Artois était à Vesoul, mais le même jour on apprend que les alliés ont éprouvé un échec du côté de Nogent et de Montereau.
Rien ne fut triste comme le 22 février jour de carnaval. On ne rencontrait que des personnes effarées qui pressentaient déjà une retraite et par suite de très grands malheurs. Au surplus tel fut à peu près l'aspect de Langres pendant deux mois. On ne sortait de chez soi que forcément surtout le soir dans la crainte d'être pris pour guide par des soldats, et peut être d'être emmené dans les campagnes. Ce ne fut guère que vers la mi mars que étant en ville moins surchargé de logements et le temps devenant fort beau on put respirer plus à l'aise et même se hasarder à la promenade. C'est ce qui nous arriva avec un jeune officier russe bien élevé nommé Vandezio que nous logions en sus de deux autrichiens et de plusieurs domestiques. Ce Russe originaire de Hollande, était du corps de Platow, il se prétendait blessé et fils d'un sénateur, et il n'était probablement ni l'un ni l'autre; il retourna à l'armée vers le 20 mars. J'ai aussi logé deux officiers français, l'un des deux très jeune était de la garde nationale mobilisée de Montargis; ils avaient été faits prisonniers à Nemours.
Rien n'était plus simple que les habitudes des deux empereurs. Celui d'Autriche sortait souvent avec un seul officier le prince de Lichtenstin*25*  ou le prince Esterhasy*26* , je crois. L'empereur Alexandre était presque toujours seul. Je l'ai vu arrivant aussi chez François II, saluant poliment quelques dames qui étaient sur son passage et demandant du ton d'un simple particulier qui fait une visite: « sa majesté est elle visible? ». Il a donné des marques de son humanité; on dit que plusieurs fois on a crié en le voyant: Vive l'Empereur. La présence du roi de Prusse ne faisait presque aucune sensation. Il a été loin de montrer la même générosité que les deux autres souverains.
M Poinsot logeait le général Saxon, de Langnau; il disait avoir beaucoup à s'en plaindre, et pour son malheur le général ayant été blessé vint reprendre ses quartiers chez lui.
Le baron d'Ulm commissaire autrichien, que j'avais beaucoup connu en Allemagne demeurait chez M(adame) Couvreux. Il fut un de ceux qui se hâtèrent de partir le 26 février, lorsqu'on craignait l'arrivée des Français. Quelques jours auparavant, il m'avait dit que Bonaparte était complètement battu, on proclamerai sur le champ la Régence. C'était le système autrichien.
Après l'échec des alliés à Montereau et à Nogent, on voir le 23 février commencer la retraite des équipages qui bientôt se prolongea sur une double ou triple colonne accompagnée de soldats de différents corps qui ont plus l'air de fuyards que d'une escorte. Ce paysage dure plusieurs jours pendant lesquels les empereurs reviennent à Chaumont. On prépare leur logement à Langres; mais ils restent dans la première ville, le mouvement de retraite étant arrêté dès le 26. Cette reculade fut fatale à nos environs et quoique momentanée elle entraîna de grandes dévastations. Les corps de Barclay de Tolly et de Miloradowitch*27*  étaient revenus sur Langres et 3000 hommes bivouaquaient le 26 autour de Changey. Dans deux jours ils en consommèrent toutes les provisions. Le 2 mars des cavaliers russes cantonnés à Charmes mirent le feu au moulin du Val de Gris. La guerre continuait avec ses vicissitudes de revers et de succès. Les alliés étaient rentrés à Bar sur Aube le 27 février, le 4 mars ils occupèrent de nouveau la ville de Troyes. L'affaire de Champ-Aubert*28*  avait été fatale aux Russes et au général Ousoufierff; Rheims*29*  était pris et repris. Cependant les souverains coalisés signaient à Chaumont ce fameux traité par lequel il ne devaient quitter les armes qu'après avoir abattu Napoléon. Celui ci faisait face partout, repoussait l'ennemi sur un point, puis se portait rapidement sur un autre, résistait à une nouvelle attaque. Mais semblable à un homme qui se débat et se noie, ses efforts l'épuisait et rendait une catastrophe assez probable. Cependant il tente encore la fortune le 20 mars et les jours suivants près d'Arcis et le 25 on apprend à Langres par l'arrivée de la garnison de Chaumont et de M de Raigecourt qui y commandait, que cette ville est occupée par l'avant garde de l'armée française commandée par le général Piré. Cet événement avait été précédé d'une retraite des équipages qui rappelait celle de la fin de février. Il était assez difficile d'expliquer la cause de ces mouvements. On savait que l'empereur d'Autriche s'était retiré assez précipitamment sur Chatillon et Dijon, on voyait les Français s'avancer sur Langres et les sangsues autrichiennes qui voulaient pressurer cette ville se hâter de la délivrer de leur présence. Qu'étaient devenus les souverains alliés et la grande armée de Schwartemberg ?Celle de Napoléon paraissait être sur leurs derrières, mais était elle assez forte pour les avoir coupés, où ne voulait elle que porter la guerre sur un théâtre ou les insurrections des campagnes commençaient à se multiplier ? En effet sur la fin de mars les villages en arrière de Langres étaient prêts à se soulever. Des habitants de la Carte et de Pressigny s'embusquèrent dans les bois à portée de la route et pillèrent les équipages ou se trouvaient des effets appartenant à l'empereur François. Le 26 du même mois un officier autrichien a M Jacquinon qui revenait de Chatillon, des habitants d'Arc en avertirent les français qui étaient à Chaumont et 25 hommes en partirent et firent enlever la voiture et les chevaux. L'officier qui commandait alors les escadrons de cavalerie légère à Chaumont le général de Piré était un ancien émigré de Quiberon, il fit arrêter M de Vitrolles croyant, dit-on que c'était Monsieur qui se rendait de Vesoul à Nancy.
Aux questions posées plus haut on ne savait que répondre, car les alliés répandaient le bruit que Napoléon avait été battu à Arcis et que ce n'était qu'un faible détachement de son armée qui était venu à Chaumont et pourtant la garnison de Langres était dans les transes et elle passa une partie de la journée du 2 sur les remparts, tandis que nous voyons ses vedettes les plus avancées à la hauteur de Chanoy et les patrouilles françaises sortir de Rolampont. Pendant les journées du 27 et du 28 les portes de la ville furent fermées, et il fallut une permission particulière pour pouvoir porter un mort au cimetière (M de Lyvro*30* ) d'autres furent enterrés dans l'intérieur de la ville, car en outre du fléau de la guerre, celui de la contagion sévissait toujours. Enfin après une sorte de blocus occasionné par la peur de notre garnison proposée alors de deux bataillons de la Landwehr nous apprîmes le 29 que la veille les français avaient quitté Chaumont.
Alors les choses commencèrent à s'éclaircir. On vit que l'étoile de Napoléon palissait: Déjà le 23 on avait annoncé que Lyon avait été pris le 21; et le 1er avril un bulletin autrichien affiché à la porte de l'Hôtel de Ville publia que le 12 mars le général Beresford était entré à Bordeaux avec le duc d'Angoulême, et que cette ville avait énoncé son vœu pour le retour des Bourbons. Ainsi deux des plus grandes villes étaient perdues pour Bonaparte, et déjà on faisait courir le bruit qu'il en était de même de sa capitale, les étrangers l'avaient même dit positivement dans leur vaniteux bulletin du 30 mars, qu'ils retirèrent ensuite comme fort hasardé, mais leur air de confiance et les nouvelles des combats de Fère Champenoise et de la Ferté Gaucher firent pressentir que cette nouvelle n'était que prématurée. En effet le  7 avril au soir le commandant de la ville publia aux flambeaux qu'à la suite d'un engagement au delà de Bondy l'Empereur de Russie et le roi de Prusse étaient entrés par capitulation dans Paris le matin du 31. Ce fut M de Huvé qui me l'annonça en sortant du Stabat qui se chante le jour du Jeudi Saint.
Le 8 avril on reçut à la mairie l'acte de déchéance de l'empereur par le Sénat et successivement toutes les adresses qui en furent  la suite. Les cocardes blanches n'étaient pas encore très nombreuses le 10 avril et M Jourdheuille notre fort royaliste depuis, disait ce jour là combien de personne qui font une démarche qui va les perdre. Pensait il alors à M Gaux fusillé à Troyes par ordre de Bonaparte!
Le 10 Jour de Pâques, un Te-Deum a été chanté dans l'église de Saint Mammès, les autorités y assistent et des citoyens de toutes les classes arborent la cocarde blanche en signe d'adhésion à la déchéance et pour manifester hautement le vœu de voir rétablir sur le trône l'auguste famille des Bourbons.
Le 18 on apprit que Louis XVIII était enfin rendu aux désirs de ses sujets.
Huit ou dix jours après on voyait de larges cocardes sur les chapeaux des plus grands jacobins, et un peu plus tard un prêtre marié sollicitait et portait la décoration du Lys!
Si l'Empereur Napoléon eut régné encore quelques années, il aurait fait oublier les Bourbons à la nouvelle génération. Déjà leurs anciens serviteurs ne savaient plus quels étaient ceux qui existaient encore. Je me souviens que le 10 avril je disais à M de Latour: je croyais avoir ouï dire il y a plus d'un an que M le comte d'Artois était mort. Non me répondit il c'est le prince de Condé, et celui-ci, aussi, était bien vivant. Qui savait alors que le duc d'Orléans était marié et avait des enfants!
Le 23 mars nous apprîmes la prise de Lyon. C'était le soir en terminant à l'hôtel de ville une séance de la commission des subsistances dont j'étais membre et que présidait M Poinsot; celui ci homme avisé, nous dit sur le champ: c'est une prise d'une grande conséquence! Les alliés maîtres d'une ville aussi importante peuvent y proclamer les Bourbons; et déjà repris depuis 11 jours Bordeaux s'était prononcé.
Une autre fois il voyait moins bien en justifiant Bonaparte d'avoir fait fusiller M Gaux. C'était disait il un acte sévère mais tout simple: l'empereur jouait son jeu. On pourrait demander si ce jeu ne lui a pas fait perdre en partie sa popularité et à qui ont servi ses décrets de mort rendus à Troyes, et celui du 5 mars qui déclare traîtres les maires qui dissuadent les citoyens d'une légitime défense.
M Poinsot au moment de la restauration avait dit qu'il préfèrerait pour roi Massue à un Bourbon. Or ce Massue était une espèce de portefaix hideux et de la plus basse classe. Un jour M Besancenet l'aîné lisait dans l'ouvrage de Chateaubriand cette phrase: et si la noble famille des Bourbons s'éteignait on devrait préférer le dernier des Français au fils d'un huissier d'Ajaccio. M Poinsot entrait au moment où il achevait sa phrase à laquelle il ajouta: et vive Massue! Un avoué dont les opinions se sont mitigées disait alors qu'il aimerait mieux devenir Wurtembergeois que d'être sous un Bourbon. Etait-ce là du patriotisme ou de l'esprit de parti? Mais est-on plus raisonnable aujourd'hui (fev 1839).
Le 6 juin on publia la paix et le 15, les première troupes françaises entrèrent à Langres; c'était le 23ème régiment d'infanterie. On craignait que des malintentionnés ne suscitassent quelques rixes avec la garnison autrichienne, mais le bon esprit du colonel et les précautions prises par les autorités de la ville empêchèrent que la tranquillité ne fut troublée. Ceux des hommes de la gare nationale qui avaient pu conserver des fusils, malgré l'ordre sévère de désarmement, firent quelques patrouilles et reprirent le services que les circonstances demandèrent. Le 19 fut le jour du départ de la garnison de Langres à laquelle s'était réunie la veille celle de Chaumont après un séjour de 3 mois et 2 jours.
M de Chalancey fut nommé par le roi commandant de la place de Langres, et s'est fait reconnaître en cette qualité.
Le 25 août se fit la bénédiction des drapeaux de la garde nationale. A cette occasion, M Berthot sous préfet prononça un discours éloquent, rehaussé par l'expression qui lui était naturelle.
Ce fut peu après que l'on apprit que S.A.R. Monseigneur devait passer à Dijon. Le 4 septembre les officiers de la garde Nationale réunis jugèrent convenable d'envoyer complimenter l'auguste frère du roi, et je fus nommé de la députation qui devait lui porter l'hommage de la garde nationale avec MM Dregel*31* , de Massey auxquels s'adjoignirent MM Laurent et Regnier. Le 13 nous fumes présentés au prince qui daigna m'accorder la décoration de la légion d'honneur. Je n'ai pu retrouver le petit discours que je prononçai à cette occasion; je me rappelle seulement une phrase ou je justifiais la conduite des Langrois. C'était à peu près ceci: « Sous le gouvernement paternel des Bourbons, la garde nationale de Langres ne se trouvera plus placée par imprévoyance entre deux armées prêtes à se combattre et menaçant de la punir de sa faiblesse ou de sa résistance ».
Le 27 septembre Monseigneur le Cardinal de la Luzerne arriva dans son ancienne ville épiscopale. Beaucoup de citoyens allèrent au devant de lui jusqu'à Saint Geosme, et on lui donna une garde d'honneur.
On savait depuis quelque temps que la ville de Langres devait être visitée par Monseigneur le duc de Berry. Cette nouvelle stimulant le zèle de ses habitants, plusieurs d'entre les principaux prirent l'uniforme de la garde nationale afin de pouvoir faire le service auprès du Prince; il se forma en outre une garde d'honneur à cheval dont le commandement fut donné à M de Farincourt*32*  chef de bataillon.
A cette époque il semblait qu'un même esprit, et un sentiment général de bonheur unissait nos concitoyens. Le sieur Faure avait repris sa place de lieutenant de grenadiers; criant Vive le Roi plus haut que les autres. MM tels et tels faisaient partie de la garde à cheval, mais depuis….
Le 8 octobre on attendait le prince de bonne heure, il n'arriva qu'à 10 heures du soir. Une partie des préparatifs faits pour la réception devinrent inutiles; le souper, le bal se ressentirent de la maladresse ou du malheur de la journée et un pot pourri burlesque et assez spirituel en fit justice. Le Duc passa en revue à la pointe du jour un bataillon du 23ème qui était venu de Dijon, et partit précipitamment. Il était difficile qu'un désappointement pareil ne causât pas un peu de mécontentement; il fut facile à la malveillance de s'en emparer.
Cependant l'hiver se passa très gaiement, il y eut à l'hôtel de ville des bals ou l'on voyait les opinions les plus divergentes, qui ne semblaient point embarrassées de se trouver ensemble, peut être le temps les aurait il encore rapprochées davantage, mais le mois de mars n'était pas loin.
Le 5 janvier 1815, M d'Amboise capitaine d'artillerie vint de Chaumont faire l'inspection des armes de la garde nationale. On avait pu lui en procurer quelques unes de plus, ainsi il fut possible de présenter un nombre d'hommes assez considérable à la cérémonie funèbre du 21 janvier.

Les Cent Jours
Tout semblait dans le calme le plus parfait, et l'élévation des fonds de l'Etat attestait la sécurité dont on jouissait et l'on s'occupait à Langres d'une réorganisation de la garde nationale qui ne devait entraîner que quelques adjonctions, mais aucun déplacement, lorsque le 7 mars en revenant de la campagne, j’appris qu’il était question de prendre les armes parce que le duc de Berry devait passer en allant à Besançon. M de Chalancey, commandant d’armes, absent et mandé par un exprès, arriva dans la nuit et vint me chercher pour aller à l’auberge de la Poste attendre les gens de service qui devaient précéder le Prince. Ce que nous sûmes d’eux était fait pour donner quelque inquiétude ; Monseigneur allait du côté de l’Italie ou il y avait dirent-ils quelques troubles causés par Murat. Au surplus il ajoutèrent qu’il était très possible que le prince ne passa point à Langres.
Le lendemain, je fus mandé avec quelques personnes en place chez le sous préfet et là nous sûmes que la correspondance extra-confidentielle des préfets annonçait que Bonaparte était débarqué à Cannes le 1er mars. Le jeudi 9 mars, il n’y avait encore que 5 à 6 personnes à Langres qui connaissent le débarquement. Le soir à l’assemblée M Gilliotte disait, il n’y aurait à craindre ces mouvements en Italie que si Bonaparte s’en mêlait, et une autre personne ajoutait : Depuis quelques jours le bruit court dans les campagnes qu’il est revenu ; on va jusqu’à dire qu’il a passé à St Geosmes. ; nous savions dès lors qu’il y avait déjà 8 jours qu’il était en France et nous gardions le silence. Le 3 j’étais allé voir mon moulin brûlé et prendre des arrangements pour sa reconstruction. Je revenais à la chute du jour par un temps doux et calme qui annonçait l’approche du printemps. On croit quelque fois aux pressentiments ; j’étais loin d’en avoir ce jour là. Je jouissais complètement de cette belle soirée sans crainte de l’avenir et Bonaparte marchait déjà à grandes journées vers son but.
La nouvelle du débarquement fut connue dans la ville par le courrier du vendredi 10 mars, elle ne tarda pas longtemps à produire son effet. Cependant dans une assemblée tenue à l’hôtel de ville le 11, et à laquelle on avait appelé plusieurs personnes notables, il fut résolu qu’un ferait une adresse au roi, et cette velléité d’énergie se soutint encore quelques jours.
J’avouerai que dans les premiers moments, j’éprouvais une sorte de confiance. Je ne pouvais croire que l’ex-empereur irait à Paris comme par journées d’étape et sans trouver aucun obstacle. Je me disais : il suffit qu’une seule ville lui ferme ses portes, que quelques coups de fusils soient tirés pour que la partie s’engage et que ceux qui voudraient résister aient le courage et le temps de le faire, mais cette illusion dura peu. Je m’aperçus bientôt qu’on ne savait opposer à Bonaparte que des proclamations exagérées et des mensonges. Les lettres de Paris venant d’un point éloigné que nous du théâtre. Des évènements annonçaient comme vrai ce que nous savions être faux et avaient trop l’air de vouloir nous exciter pour se faire un abri de ceux qui  étaient les plus avancés. Ainsi les journaux mêmes annonçaient des succès, quand nous savions déjà Napoléon à Lyon, et ils le plaçaient entre les armées de Masséna et de Ney lorsque nous connaissions la défection de ce dernier, ce fut dans la nuit du 14 au  16 que M de Bourmont le dit en passant à Langres. Trois jours avant le 12 mars, une sorte de levée de bouclier avait eu une issue fort malheureuse ; le général Marulaz*33*  arrivé le matin avait cru électriser les têtes en faisant réunir la garde nationale sous le prétexte d’aller en corps à la messe et en la pérorant au retour. Je me souviens que dans son discours, il comparait l’Empereur à Schindenhaus et annonçait qu’il était décidé à chouanner s’il était nécessaire. Cette éloquence produisit peu d’effet ; il en fut de même des drapeaux blancs dont il avait fait pavoiser toutes les fenêtres. On espérait agir ainsi sur le régiment d’infanterie légère qui allait arriver, et on ne fit que provoquer de grossières injures adressées au Roi. Le temps semblait être le complice des évènements : un ouragan s’éleva, les drapeaux tombèrent dans la boue, et le lendemain Marulaz avait disparu, et les soldats en sortant de Langres arboraient la cocarde tricolore.
La garde impériale était devenue les grenadiers et les chasseurs royaux, ces deux corps en garnison à Metz et à Nancy  étaient en marche sur Langres lorsqu’il leur arriva le 17 ou le 18 à Montigny l’ordre de se porter sur Chaumont, et nous évita d’avoir dans nos murs une troupe sans discipline et qui courrait au devant de son ancien chef. Mais la situation n’en était pas moins critique ; le 18 au soir, M Faure médecin fait dire au maire par M de Chalancey qu’un assez grand nombre d’hommes exaltés réunis au café savent que lui maire a reçu du général Veaux les proclamations de Bonaparte et qu’ils le menacent de venir les prendre de force et de les publier, s’il ne les fait pas publier lui même. Le maire effrayé des suites que pourrait avoir cette violence, fait répondre que le lendemain de bonne heure, il assemblera le conseil municipal et qu’il ferait ensuite publier les proclamations. Ainsi la promesse était déjà faite avant que pour la forme on eut rassemblé le conseil et à peine quelques membres avaient ils adhéré à la proposition du maire qu’interprétant le silence des autres comme une approbation, il se hâta de regarder la publication comme une chose arrêtée.
Cette conduite peut paraître bien faible, mais combien y en a t il qui se soient montrés forts alors ? D’ailleurs il faut toujours faire la part des circonstances. On savait que Bonaparte était à Auxerre. On pouvait même le croire arrivé à Paris, et pourtant le journal qu’on avait reçu ce matin là 19, de Paris, toujours cherchant à abuser, contenait encore de folles espérances sur la conduite de Ney. Des soldats avaient déjà commis des désordres dans les faubourgs ; ceux qui étaient à Chaumont criaient Vive l’Empereur et nous isolaient du centre du gouvernement ; tout marchait à l’anarchie, car le maire nous annonçait que le sous préfet était parti, si lui même n’était pas secondé, il abandonnerait la place en laissant la ville sans magistrat. Que pouvait-on lui conseiller ? un parti honorable sans doute, celui de la résistance, mais quand à moi, je ne pouvais que lui répéter ce que j’avais dit un an auparavant au commandant d’armes : Comptez sur moi, mais je ne vous réponds pas des autres. En effet j’avais vu quel découragement avait suivi l’équipe du général Marulaz, et je savais qu’il y avait des hommes de la garde nationale parmi ceux qui était prêts à faire violence au maire. Je le laissai donc se déterminer, sans lui donner un avis qu’il ne me demandait même pas, et ce jour là, vers les 2 heures, un agent de police lisait dans les rues les proclamations datées de la Cannes, de Grenoble et de Lyon.
Le soir la ville fut morte ; seulement un mauvais sujet pensant que le règne de siens était venu, interrompit le silence général en allant vociférer sous les fenêtres et menacer de brûler les maisons de deux jurés qui avaient condamné son beau frère pour vol. Le même soir, M Berthot sous préfet, revint de Chaumont, où il était allé voir le préfet et lança dans le public un petit imprimé ou il expliquait d’une manière assez louche la cause de son départ. Quelques jours (plus tard) il fit une démarche beaucoup plus claire en donnant sa démission. Ce fut du reste à peu près le seul individu qui renonça volontairement à sa place. J’aurais, sans doute, beaucoup mieux fait d’abandonner aussi la mienne ; mais ce devait être au premier instant et lorsque le maire annonçait qu’il allait faire une proclamation qui nous replaçait sous le joug de Bonaparte, je pouvais lui dire dès ce moment, je ne suis plus commandant de la garde nationale, mais il me parut trop dur de signifier ainsi que je l’abandonnais à un homme qui réclamait l’assistance de tous ceux qui étaient autour de lui, et auquel je n’avais pas voulu dire Résistez, pour le voir ensuite rester seul à subir les conséquences de sa détermination. Car il faut savoir comment on travaillait ce pauvre conseil municipal. M Couvreux qui revenait de Paris  racontait que la population était fort calme, parce que la garde nationale se bornait à empêcher le désastre et interdisait les cris de Vive le Roi aussi impérativement que ceux de Vive l’Empereur. M Poinsot nous disait d’un air doucereux : MM je suis bien persuadé que Bonaparte ne réussira pas (le 9 mars !!) et dans ce cas le roi est top bon pour ne pas sentir la position ou s’est trouvée la ville de Langres et lui pardonner d’avoir reconnu l’usurpateur ; mais si par impossible celui ci avait le dessus, je n’en dirais pas autant de lui. M Berthot était dans une position à ne pas pouvoir rester en place. Comment en effet faire aujourd’hui une proclamation en faveur de celui qu’on a déclaré hors la loi la veille ; d’ailleurs le dernier acte du sous préfet avait été d’envoyer dans toutes les campagnes la déclaration de Vienne contre l’Empereur avec ses propres observations ; il ne pouvait donc guère éviter de donner sa démission qu’il motiva je crois sur des raisons de santé. Quant à moi, ne l’ayant pas donnée le 19 même et trouvant que c’était avoir manqué l’occasion et plus tard cela ne signifiait plus rien je restai, avec l’espoir bien fondé que je tarderais pas à être remplacé par quelqu’un plus à l’ordre du jour.
Ce ne fut cependant que vers les premiers jours de juillet que M Battonneau fut nommé commandant de la garde nationale au refus du capitaine Millière. Dans les derniers temps on ne s’adressait plus à moi pour le service ; à ce propos quelques souvenirs au sujet du drapeau de la garde nationale qui était déposé chez moi. En 1814, il y avait déjà plusieurs jours que les alliés étaient entrés dans la ville et j’avais encore à la maison ce drapeau. Je réfléchis cependant que c’était un dépôt assez embarrassant, et d’ailleurs je craignais que s’il était découvert on ne lui fit quelques avanies que je ne pourrais empêcher et qui sembleraient m’être adressées. Je me déterminai donc à le faire reporter à la bibliothèque de l’hôtel de ville, mais ce ne fut pas sans éprouver quelques traverses. Le concierge de la mairie vint le chercher le soir ; la maison était pleine de logements militaires, cependant je crus pouvoir faire sortir le drapeau par le jardin, mais dans la basse cour il y avait des cosaques avec leurs chevaux. Enfin je le donnai par la fenêtre et il traversa sans encombre la maison, la 1ère cour et les rues. Je ne me doutais guère alors que je le conserverais pour Bonaparte. Pendant les cent jours il fut rapporté chez moi. Le 26 juin 1815 M Guyot l’ancien maire vint me prévenir qu’on murmurait de ce que le drapeau tricolore était chez un ancien émigré ennemi sans doute de l’ordre des choses actuel et qu’on se proposait de venir chez moi pour l’enlever et il ajoutait que cela ne se passerait sûrement pas sans désordre dans la ville et sans  effrayer ma femme qui était en couches*34* . Il me conseillait d’après cela d’éviter cette cause de troubles en faisant reporter immédiatement le drapeau à l’hôtel de ville.
J’allait trouver le maire, M de Chamblay, je lui racontait ce que m’avait dit M Guyot et je lui demandai s’il croyait qu’en gardant le drapeau j’exposerais la ville à être troublée, et ce que dans l’intérêt de l’ordre il désirait que je fisse ; il me répondit que je ferais à cet égard ce que je voudrais et qu’il me laissait complètement libre. Alors lui dis je, je n’hésiterai certainement pas, je conserverai le drapeau. Il arrivera ce qu’il pourra, mais je croirais faire un acte de faiblesse en m’en défaisant. Il me répondit très obligeamment que quant à lui il trouvait qu’il ne pouvait pas être en meilleure main.
Mais revenons à la suite de mon récit :
Les officiers en demi solde avaient été appelés à Chaumont le 17 mars. Le sergent Faure qui était de ce nombre partait croyant aller au sacrifice et me recommandait déjà sa femme et ses enfants. Mais par suite de la mobilité de ses idées à peine fut il revenu à Langres qu’il rédigea une adresse à l’empereur et la déposa chez le sieur Allardot pour y recevoir des signatures. Elle contenait entre autres expressions un appel à la vengeance qui alarma le maire. Il ne songea pas au peu d’importance d’un acte qui ne serait peut être pas même mis sous les yeux de Napoléon, et voulant en neutraliser l’effet il fit rédiger par M Poinsot dans un autre sens une adresse et chercha aussi à obtenir des signatures. Je connais des personnes qui ont signé les deux.
C’était déjà une chose prévisible que de demander en quelque sorte grâce à Bonaparte en lui prodiguant des flatteries, mais quelques jours après il y eut une obligation encore plus fâcheuse. On ouvrit dans les administrations un registre ou venaient s'inscrire  ceux qui offraient de marcher contre le duc d'Angoulême. Pouvions nous lui désirer des succès, avec la perspective de le voir se rapprocher d'un pays ou il n'aurait guère trouvé que des ennemis !
Le 9 avril la garde nationale ayant pris les armes, ce fut une occasion de changer le drapeau blanc contre celui que l'on avait conservé à l'hôtel de ville. Les couleurs tricolores furent saluées par des acclamations en traversant les rues, mais ceux qui leur rendaient cet hommage n'étaient guère rassurants pour la tranquillité publique. Elle ne tarda pas beaucoup à être troublée. Les soldats d'un régiment qui passaient faisaient la guerre aux girouettes, prétendant qu'il y avait des fleurs de lys, tiraient des coups de fusil pour les abattre et cassaient les vitres de la maison d'un bonapartiste dans le grenier duquel ils avaient vu des transparents ou était écrit vive le roi. La municipalité fut en partie renouvelée aussitôt après la venue du citoyen Thibaudeau commissaire impérial. Cet ex conventionnel était arrivé dans une belle voiture avec un nègre sur le siège. Le 19 avril le docteur Faure fut nommé adjoint par lui et M de Chamblay maire le 21. Ce dernier passait pour être plutôt républicain que bonapartiste, mais tout le monde le reconnaissait pour un homme franc et probe. Je n'ai eu qu'à me louer de mes rapports avec lui. Le conseil municipal ne fut épuisé que le 24 mai. Je fus du nombre des éliminés. Bientôt la ville prit un aspect militaire. On fit sous la direction du major Cournault des fortifications du côté du midi; les remparts furent en partie découverts et crénelés et le 4 mai il arriva des canons confiés d'abord à la garde des citoyens. Mais peu après on réunit à Langres la première base de la garde nationale du département qui se composait de 3 bataillons dits de grenadiers un pour chaque arrondissement, et la garde nationale sédentaire n'eut plus à fournir qu'un poste de police. Le nouveau sous préfet un sieur Gabriel, homme d'un caractère assez doux fut installé le 7 mai; peu après le commandement de la place fut donné à un colonel nommé Leroy.
Il s'était formé à Langres comme dans beaucoup d'autres villes une association sous le nom d'affiliation à la fédération bourguignonne, elle se composait de 236 individus parmi lesquels il y avait des hommes qui n'y avaient donné leurs noms que par peur, mais il s'y trouvait aussi des têtes fort exaltées et dont les opinions pouvaient compter sur l'appui du bataillon de Wassy. Les hommes timorés n'assistaient guères à ses séances; ils y étaient sans influence aucune, et l'on voyait le moment ou ce ne serait plus que la copie des clubs du plus mauvais temps de la révolution. Déjà on y parlait de faire des arrestations, et on prétend même qu'un homme bien connu avait fait une liste nominative de ceux qui étaient voués à la mort.
La fermentation était grande dans la ville, quelques personnes avaient été insultées et forcées de crier vive l'empereur; M de Huvé entre autre forcé de se réfugier dans une maison avait entendu tirer un coup de fusil contre la porte qui le couvrait. Telle était la position des choses quand le 25 juin au matin les journaux annoncèrent la perte de la bataille de Waterloo. Lorsque le bruit s'en fut répandu, un soldat excité, dit on, par des voisins du sieur Lacordaire *35* épicier, entra sous le prétexte d'allumer sa pipe, dans la boutique de ce royaliste et voulut obliger sa personne à crier vive l'empereur. N'ayant obtenu pour réponse qu'un refus motivé sur ce que cela n'empêcherait pas Napoléon d'être battu, il alla chercher quelques uns de ses camarades, et bientôt ils se portèrent à des désordres tels qu'on fut obligé d'avoir recours à la garde. On prétend qu'un détachement qui avait fait évacuer la maison et s'était placé devant la porte fut renvoyé par le commandant du bataillon de Chaumont, Pierret, et qu'aussitôt la foule qui encombrait la rue, commença le pillage, il dura assez longtemps; cependant M Faure qui exerçait les fonctions d'adjudant de la place, M Guérinot et d'autres parvinrent à la faire cesser.
Le 6 juillet dans la soirée arriva à Langres, un gros piquet de gendarmerie qui avait été réuni à La Marche annonça que l’ennemi y était. Le 7 on le dit à Bourbonne et le 8 à Chaumont Le lendemain à la pointe du jour, le poste du cimetière ayant tiré sur une trentaine de uhlans, qui se présentèrent, plusieurs hommes furent blessés de part et d’autre. Le même jour à 11 heures du soir, un parlementaire se présenta ; on tira sur lui des créneaux, il ne resta que le trompette qu’on introduisit et qu’on renvoya à 6 H du matin avec l’aide de camp du général Veaux. Ce même jour 9 juillet M Battonneau fut reçu commandant de la garde nationale à la tête du bataillon. Le 10 je montai la garde comme simple fusiller. Ce jour là les avant-postes autrichiens qui étaient entre Humes et Rolampont se replièrent sur Chaumont.
Le 11 on reçut de Paris des nouvelles de ce qui s’y était passé. Elles ne détruisirent pas l’exaltation qui règne à Langres.
Le 13, 30 ou 40 cavaliers se montrent de nouveau à Humes vers les 7 heures du soir. On ferme les portes de la ville ; on bat la générale et on fait des patrouilles toute la nuit.
Le 14 M Roth Jacob qui arrive d’Allemagne dit qu’un corps d’armée autrichien qui arrivait par Vesoul a ordre de se diriger depuis Combeau-Fontaines*36*  sur Chaumont.
Le 15 le commandant de place dans une publication annonce qu’il reconnaît le gouvernement royal, mais les préparatifs de défense n’en continuent pas moins.
Le 16 on abat les arbres qui entourent la ville
Le 17 l’armée ennemie qui marchait sur Paris par Chaumont ayant trouvé en route l’ordre de se porter sur la Bourgogne et de faire rendre la place de Langres, occupa tous les villages des environs. Quelques volontaires descendent à Saint Gilles pour faire le coup de fusil avec les tirailleurs qui sont au pont de Marne. Un coup de canon tiré de la ville sur ceux ci et mal dirigé emporte la cuisse d’un langrois nommé Boittouret, qui meurt peu après*37* . Dans la journée il y avait eu plusieurs conférences ; les autrichiens avaient envoyé un parlementaire le matin ; le soir on leur envoie M Ignard. Il fut convenu qu’on cesserait de part et d’autre de tirer ; cela eut lieu après une fusillade du côté des Franchises, plusieurs balles étaient tombées jusqu’au milieu de la ville.
Le 18 le commandant ordonna de placer des cuveaux pleins d’eau devant les portes, et fit publier une défense sévère de chercher à alarmer la population. Le comte de Colloredo adresse une lettre à la ville qui amène une convention militaire pour la reddition de la place. Lorsque cette nouvelle est connue, les agitateurs se répandent en invectives et quelques officiers du bataillon de Wassy font battre la générale. Vers 9 heures du soir on commande un piquet de 30 hommes, pour se joindre au poste de la place afin de contenir les séditieux ; je suis du nombre de ceux qui sont commandés. Lorsque j’arrivai au corps de garde, M Battonneau cherchait à faire entendre raison à une soixantaine d’individus rassemblés devant l’hôtel de ville qui vociféraient et menaçaient de tirer par  les fenêtres sur les premières troupes qui entreraient à Langres, en vain Battonneau voulait leur lire les articles de la capitulation qui portaient qu’on ne devait recevoir qu’une force égale en nombre aux troupes de ligne qui étaient dans la place. Ces hommes dont plusieurs étaient ivres ne l’écoutaient pas et le sieur Adenis père qui se distinguait parmi les plus ardents avait même mis le poing sous la figure de M Dutaillis-Jacquinot officier de garde. Enfin M Battonneau faisant alternativement faire un roulement qui couvrait les cris de la multitude, et lisait un article de la convention militaire parvint à en achever la lecture. Petit à petit les moins échauffés se retirèrent et à 11 heures, il ne restait plus guère que les hommes de service. Vers minuit M Humblot-Boudard qui commandait le piquet réuni le soir, me raconta, qu’il y avait eu un complot de fait pour assassiner le commandant de place, les parlementaires autrichiens et tirer sur les premiers qui se présenteraient. Il me conduisit à la porte de M Leroi, où l’on avait placé plusieurs sentinelles de l’artillerie, et me dit en chemin que les instigateurs du complot étaient découverts et que c’étaient un officier du bataillon de Wassy et quelques langrois.
Le reste de la nuit fut assez tranquille, mais à la pointe du jour on eut encore des craintes sur ce qui aurait lieu pendant la journée. Le commandant du bataillon de chasseurs le sieur Prouarès qu’on avait mandé à l’hôtel de ville ne voulait pas se soumettre à la capitulation. On fut obligé d’user de ruse pour lui enlever son épée, et on ne calma son bataillon qu’en soldant ce qui lui était dû d’arriérés, au moyen d’une cotisation dont plusieurs personnes firent le montant comme avance sur leurs contributions. Enfin le 19 à 10 heures du matin, la porte de rue bouillère fut ouverte et on vient entrer le beau régiment autrichien archiduc Regnier commandé par le comte de Linanges et ayant à sa tête une excellente musique. Quelque fut le sentiment que faisait éprouver cette seconde occupation étrangère à un an d’intervalle, il était difficile de ne pas sentir qu’elle nous délivrait pour le moment du joug d’une odieuse anarchie. L’ordonnance du roi qui rétablissait dans leurs places tous ceux qui avaient été destitués me rendit bientôt les charges attachées au commandement de la garde nationale. Ce ne fut cependant que le 7 novembre au départ des troupes bavaroises qu’elle recommença un service journalier.
Lorsque la ville de Langres fut rendue il n’y avait dans la place en outre d’une compagnie d’artillerie et une du génie que le bataillon de Wassy, une compagnie de celui de l’arrondissement de Langres et le bataillon de chasseurs de la dernière levée. Le reste du bataillon de Langres et celui de Chaumont étaient partis en toute hâte pour Paris le .. juillet. On avait aussi formé une compagnie de sapeurs dans la ville et dans les campagnes et quelques corps francs composés de gardes forestiers et de volontaires. L’artillerie était commandée par le capitaine Guénot et le génie par le capitaine Mussot.
Quelques jours avant la reddition de langres au mois de juillet on voyait un petit camp dans le pâquis de Champigny. J’avais déjà aperçu avec une lunette des autrichiens dans mon jardin à Changey. Le 17 ou le 18 juillet j’étais monté au clocher de l’hôtel de ville. Les environs étaient déserts, il y avait quelques soldats étrangers derrière la montagne des Fourches, où il est probable qu’on voulait établir une batterie; on les voyait quelques fois descendre vers Brevoines, du reste pas une âme sur les routes ; je n’ai aperçu qu’un seul paysan qui avait l’air d’errer dans la campagne sur la gauche d’Arbolotte. Le commandant en second de la place ou chef d’état major se nommait Couppe de Saint Donat. Il empêcha pendant un ou deux jours le colonel Leroi à reconnaître Louis XVIII, quoiqu’on le sut aux portes de la capitale. Il disait qu’il était possible qu’on proclame le roi de Rome et qu’il fut reconnu.
Quelques uns des pillards du sieur Lacordaire furent traduits en cour d’assises et punis de plusieurs années de prison. Un paysan de Frécourt qui avait prit part au pillage était en outre accusé d’avoir dit en rentrant dans son village : Que faites vous donc ici vous autres ; ne savez vous donc pas que l’on pille à langres. Il paraît que d’autres maisons étaient désignées, entre autre celle de M Feytout ex adjoint *38*.
En 1814 lorsque d’après un écrit de M Montrol*39*  sur la Champagne, lors de l'entrée des alliés à Langres, un grenadier français se plaça en travers de la porte et se fit massacrer. Je ne sais qui a pu lui faire ce récit. J’étais présent, je n’ai rien vu de pareil. Les grandes portes avaient été ouvertes, M de Guilay entra le premier accompagné de 3 ou  6 trompettes et sans obstacle. M Migneret*40*  dit qu’un gendarme assassiné au mépris de la capitulation gisait auprès de la porte. Ceci est une autre version. Si le fait pouvait être vrai, il n'aurait eu lieu que quand la tête de colonne était dans la ville, mais dans quel but? J'ai ouï dire depuis qu'effectivement un gendarme avait été tué près de la porte mais lorsqu'il y avait déjà 2 ou 3000 hommes dans la ville, ce qui m'explique comment je n'ai pas été témoin de ce fait étant entré à la tête de la colonne. Suivant les uns cet homme appartenait à la gendarmerie de Prauthoy qui était en bataille le sabre à la main devant les écuries de la porte des Moulins; il voulait se défendre dit on, mais qui amena la rixe et pourquoi fut il attaqué ? Je ne sais. L'autre version dit que le gendarme était du Fays, qu'il était resté au cours Rivot avec sa troupe, et que poursuivi par les étrangers il se réfugia dans la première maison à droite et que ce fut là où il fut massacré*41* .
En 1815 lorsque le premier régiment autrichien arriva sur la place de l'hôtel de ville, je vis un artilleur jeter de colère son fusil contre le canon auprès duquel il était en faction, quelque moment auparavant un autre artilleur avait mis en joue l'homme qui arborait le drapeau blanc au dessus de l'hôtel de ville.
Le capitulation de 1815 comme celle de l'année précédente portait que les troupes qui entreraient dans la ville seraient en nombre égale à celui des soldats de la garnison. Cela aurait été bien peu considérable puisqu'il n'y avait qu'une compagnie d'artillerie et une du génie, les gardes nationales devant être licenciées, mais cette convention ne fut pas exécutée plus fidèlement que celle de 1814.
Dans la nuit du 19 juillet, j'entendis le nommé Desgrez qui était en faction devant les armes dire qu'il n'y eut que lui il tirerait sur les prussiens qui entreraient. Je pensai bien que j'aurais paru suspect à ce vieux jacobin si j'avais cherché à lui faire entendre raison, mais je pris pour intermédiaire M de Chamblay qui ne manqua pas de lui rapporter ce que je venais de lui dire. Or voici ce que j'avais dit au maire en lui racontant les projets de Desgrez: Je concevais qu'on voulut se défendre jusqu'à l'extrémité si on avait quelque espoir de délivrance; si par exemple en tenant 3 ou 4  jours de plus nous pouvions voir arriver l'armée française. Mais nous nous savons que par suite d'une convention elle se retire derrière la Loire et que les hostilités ont cessé, que gagnerons nous à prolonger la résistance ? D'être pris d'assaut et pillés. Un moment après j'entends M de Chamblay répéter mon argument qui avait beaucoup plus de force dans sa bouche que dans la mienne.
Cette même nuit M Faure l'adjoint fut du nombre de ceux qui cherchèrent à apaiser l'insurrection. Les mutins étaient Viardot fils, Boucheron, et quelques officiers de Wassy et du bataillon de chasseurs de notre arrondissement. Ce fut le seul qui put être levé dans le département. Chaumont étant déjà envahi, lorsqu'on appela le deuxième ban de la garde nationale. Parmi ceux qui voulaient faire le coup de fusil le 17 juillet à Saint Gilles se trouvaient Denis Royer*42* , Loyauté fils etc… Les autrichiens  maîtres de Langres commirent quelques actes de rigueur entre autre celle d'arrêter et d'emmener à Dijon plusieurs habitants qu'on leur avait sans doute signalés comme dangereux. On chercha à leur éviter cette persécution là, en leur délivrant des certificats de bonne conduite pour les mettre à l'abri. Je ne pus pas me refuser à en signer plusieurs; néanmoins M Faure médecin et Picard avoué n'en furent pas moins transportés et détenus quelque temps au quartier général. Ce qui mécontenta le plus les révolutionnaires ce fut surtout une contribution de guerre frappée sur les principaux d'entre eux. On a soupçonné peut être avec raison, que cette mesure avait été suggérée par plusieurs de nos compatriotes. La demande avait d'abord été de plus de 100.000 francs, ensuite à la sollicitation de quelques obligeants royalistes, la plupart des cotes d'imposition avaient été réduites au quart et plusieurs même entièrement supprimées.
Plus tard on proposa au conseil municipal de faire rembourser cette taxe par la ville, ce qui fut rejeté; je fus du nombre des opposants. Il me sembla que quoique cette réquisition fut vexante et injuste, elle était cependant toute personnelle, précisément parce que l'on était parvenu à y soustraire quelques individus et qu'on ne pouvait l'assimiler à une réquisition de cuir faite chez un tanneur ou de drap chez un marchand. Au surplus le gouvernement avait tenu compte des sommes qui avaient été payées en 1815."

Anecdotes
Peu après la restauration M Poinsot me parlait de sa répugnance pour les Bourbons, comme je lui dis convenez cependant que la légitimité a cela de bon qu'elle peut mettre tout le monde d'accord. Si l'héritage de Bonaparte était remis au choix, un parti pourrait vouloir Masséna, comme le premier des généraux, un autre Taillerand*43*  comme le plus grand politique, un troisième Cambacérès, peut être Merlin, comme l'homme le plus versé dans la connaissance des lois, et au lieu de cela on demande quel est le plus proche parent, et tout est dit. Je ne sais s'il fut convaincu, mais il me dit: vous avez raison.
Lors du passage du duc de Berry, il semblait converti, car il avait fait un quatrain relatif à la circonstance qui était dans un transparent sur sa porte.
M Migneret porte à 10.000 hommes le nombre de soldats de toutes armes de la garde impériale qui était à Langres le 12 janvier 1814, ce que je crois un peu exagéré. C'est en apprenant que cette garde était à Langres, que les alliés portèrent toutes leurs forces sur ce point; cela entrait sûrement dans leur plan primitif, mais il est certain que la présence des troupes françaises à Langres, causa l'encombrement des étrangers dans les villages environnants.
Lamiral agent de police, m'a dit avoir vu dans le moniteur un récit de l'action du sieur Faure qui, donna la mesure de la défiance avec laquelle il faut lire les relations dites officielles. Suivant ce journal, la cavalerie ennemie chargeant tout ce qui était en dehors de la ville, aurait pénétré jusqu'au milieu de la place et l'officier Faure avec quelques grenadiers l'auraient repoussée et rejetée au delà des remparts. Lamiral prétend que ce n'est pas M Faure qui a blessé l'officier qui escortait le parlementaire, mais que le coup a été tiré par Albertier-Courtet, sergent major des grenadiers; peut être confond-il cette circonstance avec ce qui se passa le matin vers 6 heures.
Le 18 janvier 1814, pendant que le conseil municipal était assemblé à l'hôtel de ville vers les 10 heures, pour délibérer sur les réquisitions que faisait déjà un commissaire autrichien, un cri parti d'un côté de la place sur laquelle bivouaquaient quelques milliers d'hommes, parcourut aussitôt tous les rangs et vint porter l'effroi parmi les membres du conseil qui coururent aux fenêtres pour voir si ce n'était point un signal de pillage. Un de mes voisins dont la figure allongée traduisait l'inquiétude, demandait ce que cela pouvait signifier, je ne puis m'empêcher de lui répondre: « à coup sur si c'est un cri de joie, il n'est pas communicatif ». C'était en effet un hourra de la troupe à l'arrivée d'un général qui allait lui faire prendre la route d'Arc
Ces régiments d'avant garde avaient très mauvaise mine; c'étaient la plupart, je crois des Croates et autres troupes des frontières de Turquie.
Dès le matin de ce jour, le feu avait pris chez M Bertrand où logeait le général Giulay et il s'était établi chez M Thévenot qui demeurait vis à vis.
Ce fut là que le maire fut conduit entre quatre fusiliers et menacé de la schlague, s'il ne fournissait pas les cartes de Cassini; il m'en a coûté 30 (cartes) pour lui éviter ce mauvais traitement.
M Berthot qui logeait le prince de Schwartenberg, ne tarda pas à cesser ses fonctions de sous préfet; on nomma pour le remplacer une commission dont faisait partie MM Vaucouleur et Dregel. On établit aussi les services du conseil municipal de manière que chaque jour trois de ces membres fussent présents à l'hôtel de ville pour seconder le maire dans ses fonctions; comme il n'y en eut que 21 qui faisaient ce service, il revenait chaque semaine le même jour. J'en étais le dimanche. Un soir vers 9 heures, j'allais me retirer quand M Feytou adjoint me pressa très fort de revenir dans la nuit, attendu dit-il que le magasin à fourrage est vide et que les alliés mécontents de n'y rien trouver nous égorgeront s'il n'y a personne pour leur répondre en allemand. Je lui dis que sa proposition n'était pas très engageante, mais que néanmoins je lui promettais de venir le remplacer après mon souper. J'y allai en effet et ne fus point égorgé.
Ce  fut cette nuit du 27 février que rentrant chez moi, entre 11 heures et minuit, je montai au grenier d'ou j'aperçus le triste spectacle des feux de bivouacs qui entouraient encore le village de Changey.
Le prince de Kevenhuller, commandait le bataillon de Landwer qui a fait longtemps la garnison de Langres. C'était un bohème fort bon homme qui logeait chez M de Chamblay. De retour chez lui il envoya à son hôte et au maire de Langres une caisse remplie de faisans qui se trouvèrent très bons.
J'ai logé le chirurgien de la Landwehr, c'était un singulier homme, qui prétendait voir dans l'apocalypse, l'annonce du retour de Napoléon. Un autre chirurgien me dit qu'on avait eu grand tort de ne pas proclamer le roi de Rome. Mais lui dis-je, croyez vous que son père n'aurait pas gouverné sous son nom? Cela est vrai, dit-il."
    
        Claire Auberive dans "Une maison de Langres et ses hôtes" *44* évoque des « scènes d'affolement et de désordre qui marquèrent l'invasion de la cité dans les demi ténèbres d'une soirée d'hiver », qui lui furent inspirées par la lecture du manuscrit d'Regel consacré à l'invasion de 1814 *45* .  Ce dernier relate aussi la cherté de la vie, pendant les semaines ou la population avait plus que triplé, puis le paiement des frais de guerre auquel fut soumis une quarantaine de familles langroises qui n'étaient pas parmi les plus fortunées. Autant d'évènements qui sont pratiquement passés sous silence par Christophe Delecey de Changey qui s'est contenté de raconter des souvenirs liés à sa fonction de commandant de la garde nationale sans véritablement se rendre compte des tracas et de la misère dans laquelle vivait le commun des mortels. 431 personnes ont péri entre le 17 janvier et le 24 juin. Ce chiffre à lui seul permet de se faire une idée de l'ampleur des maladies infectieuses, mais aussi des privations subies par les villageois. Une analyse statistique des abandons d'enfants pourrait également confirmer cette misère quotidienne. Sans mettre en doute le sérieux avec lequel Christophe Delecey de Changey a essayé de raconter ses souvenirs, on peut s'interroger sur l'objectivité de tous les travaux de ce type lorsqu'ils sont rédigés longtemps après les évènements. Comment ne pas être influencé par certains récits déjà connus, ou faire abstraction de certaines faveurs perçues, ou d'épisodes gênants ?  Delecey de Changey fait bien un début d'analyse en se reportant aux travaux de Montrol et de Migneret, mais c'est toujours pour essayer de conforter ses propos. Il s'intéresse peu à l'environnement dans lequel il évolue, sauf pour parler de son milieu social, mais peut être est-ce simplement parce qu'il était isolé du peuple? A-t-il seulement une vague idée de la raison pour laquelle les quatre coalisés séjournent à Langres, et de l'importance de leur rencontre qui va permettre de délimiter les frontières du pays, prédéfinir la paix générale, et la reconstruction de l'Europe? Probablement pas plus que les autres témoins; et c'est aux historiens qu'il appartient désormais de poser la clé de voûte indispensable à tous ces évènements en écrivant l'histoire des capitulations de Langres en 1814-1815.


Annotations et renvois du transcripteur:
*1*  La généalogie de cette famille a été plus particulièrement étudiée par le Baron de l’Horme dont les notices ont fait l’objet d’un DVD et est disponible en ligne sur le site des Archives de Haute-Marne.
*2*  Dans ce cahier, propriété du transcripteur, Jean Christophe Delecey raconte également l'expédition de Quiberon ainsi que son séjour en Angleterre en plus de sa remise de la croix de Saint Louis. La retranscription proposée l'a été dans le respect de la graphie des noms propres mais en corrigeant quelques rares fautes d'orthographe et en aménageant légèrement la ponctuation de l'époque.
*3*  François-Joseph Offenstein (1760 - 1837) général baron de l’Empire, officier de la Légion d’Honneur.
*4*  Neuf-Brisach (68)
*5*  Jean François Bichet, baron de Chalancey (28/9/1766 Langres - 27/4/1832 Langres) fils d'Etienne Jean Baptiste Bichet et de Marie Anne Seurot de Vivey. Beau frère de Christophe Delecey de Changey. Ancien émigré, colonel de la légion de la Haute-Marne en 1815.
*6*  Il s'agit de Pierre Nicolas Beligné, (26/10/1787 Langres- 31/8/1868) fils de feu Hyacinthe Beligné et de Didière Jourdain, coutelier et futur président du tribunal de Commerce de Langres.
*7*  Il faut lire Luquet: Nicolas Luquet (7/11/1777 Langres - 16/2/1836 Langres), fils de Jean Luquet maître cordonnier originaire d'Is en Bassigny et de Jeanne Bezoux; lieutenant, chevalier de la Légion d'Honneur. Père du futur évêque Monseigneur Onésime Luquet.
*8*  Léonce de Piépape, dans son histoire militaire du pays de Langres et du Bassigny, attribue l'initiative de ces coups de feu sur la troupe ennemie au baron de Chalancey. Mais celui ci aurait-il véritablement pris cette décision si aucun de ses soldats n'avait eu la gâchette facile ?
 *9* S'agit-il de Jean Baptiste Charles Véron de Farincourt ou de son fils Louis Marie Gabriel ?
 *10* François Joseph Walter (14/11/1776 Langres- 22/8/1846 Langres) avoué au tribunal civil de Langres
 *11* Belfort (90)
 *12* Edouard Mortier (1768 – 1835), duc de Trévise maréchal d’Empire puis ministre de la guerre.
  *13* Il logea au 2 rue Claude Gillot. In Lamarre. 1814 le traité de Chaumont en Bassigny. Mourot 1988.
 *14* Ignace de Giulay (1765-1831), comte, feld-maréchal autrichien.
 *15* Promenade de Blanchefontaine
 *16* Guillaume Augustin Jean Marie Guyot de Saint Michel (28/4/1767 Langres – 28/6/1848 Langres) ancien officier de cavalerie émigré, maire de Langres de 1808 au 20/1/1815 et du 19/7/1815 au 14/1/1816, chevalier de la Légion d’Honneur.
*17*  Place des Jacobins dans la sous préfecture actuelle. In Lamarre. Op.cité
*18*  Actuellement siège du Crédit Agricole. In Lamarre. Op.cité
*19*  A l'hôtel du Chesne rue de la Tournelle. In Lamarre. Op.cité
 *20* Michel Barclay de Tolly (1755-1818), prince, feld-maréchal russe, ancien ministre de la guerre.
*21*  Emmanuel Louis comte de Cossé Brissac (3/7/1793 Moussy -24/4/ 1870 Paris), est un des illustres descendants de cette famille qui a donné de nombreux maréchaux, généraux, pairs de France… Fils de Hyacinthe Hugues Timoléon duc de Cossé Brissac et de Françoise Dorothée d'Orléans Rothelin, il épouse le 27 Octobre 1817 Henriette de Montmorency, Princesse de Robech.
*22*  Matwei Platow ou Platoff (vers 1765-1818) général russe, chef de la nation des Cosaques.
*23*  Ni les registres d'état civil, ni la liste des morts à l’hôpital de la ville de Langres (ADHM 1X119) n’indiquent la naissance de cet enfant. Ils mentionnent pourtant les décès des soldats de troupes étrangères. Ainsi le 17 janvier, un acte unique retranscrit le décès de 25 soldats appartenant à des régiments différents ou prisonniers de guerre espagnols; le 26 janvier nouvel acte pour 11 soldats dont un prisonnier espagnol.
*24*  Louis Charles Marie comte de Montarby (8/12/1770 Dampierre - 23/3/1850 Auxerre) possédait le château de Dampierre, voisin de Christophe Delecey propriétaire de celui de Changey. Lieutenant de grenadiers, il émigra en 1791 pour rejoindre l'armée des Princes et rentra en France en 1800.
*25*  Il s'agit probablement d'Aloys Gonzague Joseph de Lichtenstein (1780-1833) feld-maréchal autrichien. Plusieurs princes de ce nom, comme son frère et son cousin, avaient ce grade et faisaient la campagne de France à cette même époque. Il est donc difficile d'être certain de l’identité de ce personnage.
*26*  Nicolas prince d'Esterhazy de Galantha (1765-1833) feld-maréchal autrichien, conseiller privé de l'Empereur François II.
*27*  Général russe
*28*  Champaubert (51)
*29*  Reims (51)
*30*  Il s'agit en réalité de l'ancien émigré et ex capitaine Charles de Lyver né en 1759 mort le 28/3/1814 à Langres victime du Typhus, alors qu'il y soignait les alliés, et que Napoléon venait de proposer au grade de général.
*31*  Xavier d'Regel (10/11/1775 Plesnoy - 30/6/1843 Perrogney) Emigré, il deviendra chef de la police militaire. Adjoint au maire de Langres, il a laissé une histoire manuscrite de la ville et sa relation des évènements de 1814 qui est conservée à la bibliothèque de la SHAL.
 *32* Louis Marie Gabriel Véron de Farincourt (5/2/1786 Langres - 1/2/1847 Paris), fils de Jean Baptiste Charles Véron de Farincourt et de Elisabeth André de la Presle. Beau frère de  Christophe Delecey de Changey. Il deviendra colonel maréchal de camp et sera fait commandeur de la Légion d'Honneur.
*33*  Jacob-François Marola, dit Marulaz (1769-1842) général de division baron de l’Empire, gouverneur de Besançon en 1814.
*34*  Son épouse accouchera d’un fils mort né quelques jours après le 6 juillet 1815.
*35*  Il s'agit probablement de Jean Baptiste Gaon dit Fanfan Lacordaire, (10/7/1795 Langres - 19/8/1870 Bourbonne) négociant et président de la Chambre de Commerce.
*36*  Combeaufontaine (70)
*37*  le 28 août 1815 Gabriel Boitouzet, marchand de vin, âgé de 30 ans, fils d'Antoine Boitouzet et de feu Marie Marguerite Bouvart est décédé à minuit à l'hospice de la Charité de Langres.  Sources: ADHM 1E269/79
*38*  Nicolas Feytou (1/10/1753 Langres - 19/1/1821 Langres), contrôleur au grenier à sel. Il habitait aux 13-15 place Jeanson.
 *39* François Mongin de Montrol (18/4/1798 Langres - 16/6/1863 Paris), député. Auteur du Résumé de l'histoire de la Champagne, depuis les premiers temps de la Gaule jusqu'à nos jours. Lecointe et Durey 1826.
*40*  Stanislas Migneret (1809 - 1884), avocat à Langres puis préfet et conseiller d'Etat. Auteur du Précis de l'histoire de Langres publié chez Dejussieu en 1835.
*41*  L'état civil de Langres (ADHM 1E269/79) ne révèle aucun décès de gendarme ni de militaire français ces jours là. Que faut-il alors penser de cet événement rapporté par les principaux auteurs locaux?
*42*  Claude Denis Royer (1767 Langres - 10/12/1837 Langres) officier de cavalerie.
*43*  Talleyrand
*44*  In bulletin n°170 de la Société Historique et Archéologique de Langres. 1958.
*45*  On lira également avec intérêt, de Pierre Jacquinot (1789-1859) : Les alliés à Langres en 1814. Récit d'un témoin par Raymond Brocard, publié dans la Revue de l'Institut Napoléon n° 153. 1989.

5 commentaires:

  1. Passionnant, instructif et - ce n'est pas la moindre de ses qualités - inédit récit consacré à la défense de Langres en 1814 et 1815.
    Merci, Didier, de nous faire partager ces pages d'histoire.
    Quelques infos sur le lieutenant Faure cité dans ce récit : "Jean Faure est né le 14 février 1776 à Langres, au sein du foyer de François Faure, marchand, et de Jacquette Henry. Sous l’Empire, il est négociant en bois et sert, comme lieutenant, dans la garde nationale de la cité. Voilà, en janvier 1814, que les Alliés arrivent aux portes de la ville. Des parlementaires se présentent. Un coup de feu est tiré, et la Garde impériale dépêchée du Nord de la France surgit opportunément pour prêter main forte aux gardes nationales. Le nom de Faure est cité pour sa fermeté : il sera fait membre de la Légion d’honneur, le 12 janvier 1814. Le maréchal Mortier, qui commande les unités de la Garde, le cite dans son rapport, soulignant que l’attitude du Langrois lui aurait voulu l’hostilité de ses concitoyens. C’est peut-être la raison pour laquelle Faure quitte la ville lors du repli de la Garde et qu’il rejoint l’état-major du maréchal Berthier. Il est présent à Montmirail, promu capitaine adjoint d’état-major le 14 février, et blessé à Reims. De retour dans sa ville natale, l’héroïque officier hérite du commandement provisoire de la place le 10 mai 1815, durant les Cent-Jours, avant d’en être adjudant de place. Une position qui vaudra à Faure-Pelletier, marchand de bois, et à son frère, médecin, d’être emprisonnés, puis placés en surveillance par décision du ministre de la Police du 10 janvier 1816, le premier à Langres, le second à Besançon. Jean Faure décédera en 1857."
    Amitiés.

    RépondreSupprimer
  2. Merci beaucoup pour ces compléments d'informations qui, venant de la part d'un spécialiste de l'époque napoléonienne, n'en sont que plus intéressants. J'en profite pour signaler le meilleur blog sur le sujet: http://aiglehaut-marnais.blogspot.com/ ainsi que celui du Club Mémoires 52: http://memoires52.blogspot.com/ qui ont le même auteur rédacteur animateur.
    Bien amicalement
    Didier

    RépondreSupprimer
  3. Merci pour cet instructif récit : la petite guerre est souvent aussi intéressante que les grandes batailles !

    RépondreSupprimer
  4. J'ai été très intérêssé par l'article "Souvenirs d’un notable Langrois" J'ai noté que l'auteur posséde un cahier de Jean Christophe Delecey qui raconte son expédition de Quiberon ainsi que son séjour en Angleterre en plus de sa remise de la croix de Saint Louis. Descendant de J.C Delecey je serais heureux d'avoir un contact avec l'auteur pour discuter de nos archives respectives. Cordialement
    JP Bouquet

    RépondreSupprimer
  5. C'est possible à l'adresse suivante
    dsnvx@wanadoo.fr

    RépondreSupprimer